2038: La France a réussi la transition écologique

J’ai participé aux Journées d’été des écologistes à Strasbourg. Vendredi soir, la plénière était dédiée aux « victoires de l’écologie« .  La soirée a débuté avec le témoignage de Brigitte et Sylvain Fresneau qui m’avait accueillie en 2013 pour ma remise de légion d’honneur dans leur ferme de Notre Dame des Landes.  Puis, Joël Labbé a rappelé son combat pour faire passer la loi interdisant l’usage des pesticides par les collectivités locales (janvier 2017) et bientôt par les particuliers (janvier 2019); Éric Piolle, maire de Grenoble, a rapporté (entre autres victoires) que les cantines de la ville serviront du 100% bio et local avant 2020; Yannick Jadot, tête de liste pour les européennes, a raconté comment le parlement européen a voté l’interdiction de la pêche électrique, etc. Pour ma part, j’ai célébré les victoires futures: m’inspirant de mon livre Sacrée croissance!,  j’ai imaginé que je parlais en … 2038. Plusieurs participants m’ont demandé de mettre mon texte en ligne. Dont acte!

Fermez les yeux… Nous sommes le 24 août 2038. Nous sommes réunis à Strasbourg, pour célébrer le vingtième anniversaire d’une grande victoire : il y a vingt ans, jour pour jour, Nicolas Hulot, le ministre de la transition écologique avait débarqué à l’improviste aux Journées d’été écologistes pour annoncer la nouvelle tant attendue : le lancement de la Grande Transition. Il avait convaincu Emmanuel Macron d’organiser à l’ONU – rebaptisée l’Organisation des nations unies pour la transition (ONUT)- une Conférence sur la Grande Transition (CGT). Grâce à la force de persuasion de notre jeune président, fin 2018, les pays membres sont parvenus à un accord établissant des quotas d’ émission de CO2 pour chacun d’entre eux, en fonction de son apport historique à la concentration globale dans l’atmosphère, qui était alors de plus de 400 ppm (soit une quantité totale de 600 milliards de tonnes accumulées depuis le début de l’ère industrielle). En moyenne, chaque habitant de la planète émettait alors alors 7,6 tonnes de dioxyde de carbone. Mais cette moyenne masquait des écarts considérables entre le plus gros émetteur – l’Américain moyen- et ceux qui n’émettaient rien ou presque rien comme les Bhoutanais ou Népalais. Grâce à l’accord (âprement négocié), nous avons considérablement réduit nos émissions globales, puisqu’en 2037 elles étaient de douze milliards de tonnes, soit plus de trois fois moins qu’en 2014. Spectaculaire, la réduction est surtout due aux efforts réalisés par les pays industrialisés et la Chine, qui, il faut le souligner, a renvoyé bon nombre d’usines polluantes vers l’Europe et les États-Unis, où elles ont finalement été fermées.  Pour illustrer les mesures prises par les pays du Nord, je prendrai l’exemple de la France, qui en 2017 faisait figure de mauvais élève européen avec des émissions en hausse, soit un total de plus de 470 millions de tonnes équivalent CO2. Ces rejets étaient imputables pour l’essentiel aux secteurs des transports (29 %), de l’agriculture (20 %), du bâtiment (19 %) et de l’industrie (18 %), la production d’énergie pesant pour 11 % et le traitement des déchets pour 4 %.

D’abord, l’introduction de la taxe carbone eut pour effet de réduire considérablement l’usage des moyens de transport polluants comme l’automobile, l’avion ou le fret routier. Aujourd’hui, l’usage privé de la voiture est considéré comme « antisocial », sauf dans des aires rurales très retirées, où les transports en commun n’ont pas encore été développés.  Les compagnies aériennes low cost ont été interdites, ce qui a encouragé les Français à voyager moins et mieux. Pour les trajets de moyenne et longue distance, le partage des voitures et le covoiturage sont devenus la norme, ainsi que l’usage du train grâce à une politique volontariste de la SNCF qui a renoué avec sa mission initiale de service public. Aujourd’hui, dans les villes, l’air est beaucoup moins pollué car les « transports doux » (tramways, bus électriques, vélo et marche à pied) sont les seuls autorisés. La plupart des parkings ont été transformés en jardins collectifs ou en fermes urbaines. Désormais, l’agriculture urbaine représente un secteur économique de pointe qui fournit 60% des légumes et 30% des fruits consommés en ville, mais aussi 100% du miel et la quasi totalité des œufs, poulets, et lapins. La production d’aliments en ville a créé des centaines de milliers d’emplois pérennes, mais aussi du lien social et une qualité de la vie que nous n’aurions jamais pu imaginer au début du siècle.  Dès 2025, la restauration collective – dans les établissements scolaires, les hôpitaux ou les maisons de retraite- a atteint le 100% bio et local. Si en 2018, un aliment acheté dans un supermarché voyageait en moyenne 2800 kms en Europe, aujourd’hui cette distance a été divisée par dix.  Pour ceux qui n’étaient pas nés en 2018, je rappelle que grâce à l’action du collectif « Non à Europa City », le projet de construction de l’un des plus grands centres commerciaux du monde, a été abandonné par le gouvernement de ceux qu’on appelait à l’époque « les marcheurs ». Je rappelle aussi que dès la rentrée de septembre 2018 Emmanuel Macron avait fait deux déclarations très médiatisées : il avait rebaptisé son mouvement « La république en marche vers la transition », et il avait décidé de refondre totalement les programmes scolaires devenus complètement obsolètes.  L’enseignement vise désormais l’apprentissage de la résilience et du soin qui est fondé sur un mixte de matières académiques et de compétences manuelles où les élèves apprennent à réparer, recycler, jardiner, cuisiner, échanger, collaborer, coopérer. En vingt ans, les habitudes alimentaires ont considérablement changé, car la consommation de viande et de produits laitiers a été divisée par deux. Aujourd’hui, quand nous mangeons nous ne contribuons plus au réchauffement climatique ! L’immense chantier de la rénovation thermique a aussi largement contribué à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, tandis que les nouvelles constructions sont obligatoirement à énergie passive, voire positive.  Dans tout le pays se sont créées de petites entreprises qui fournissent des matériaux isolants naturels (argile, torchis, chanvre, paille, bois) et les techniques pour produire des aliments sur les toits, les murs ou les balcons. D’une manière générale, l’habitat est plus concentré, permettant de partager les équipements mais aussi d’échanger des services y compris intergénérationnels. D’après un sondage réalisé en 2033, 86% des Français estiment qu’ils vivent beaucoup mieux qu’avant, notamment parce que « il y a moins de solitude et d’individualisme ».

Le développement de l’agriculture urbaine a provoqué un exode massif vers la campagne, en suscitant des vocations à la pelle. Beaucoup de ces migrants urbains sont d’ailleurs venus se former sur le Triangle de Gonesse, devenus un centre de formation à l’agroécologie.  Du coup, alors qu’en 2018, deux cents exploitations agricoles disparaissaient chaque semaine en France, le phénomène s’est inversé : dès 2020, on manquait de fermes pour satisfaire la demande d’installation ! Nombre de grands producteurs de la FNSEA ont accepté (sans trop de mal) de céder une partie de leurs énormes exploitations aux jeunes paysans et paysannes qui les ont  aidés à effectuer la conversion vers l’agro-écologie, la vraie pas celle proposée alors par la FNSEA qui a d’ailleurs très vite troqué son slogan prônant « l’agriculture écologiquement intensive » par celui appelant à une « agriculture intensivement écologique ».

Aujourd’hui, le visage de la France rurale s’est profondément modifié : petit à petit, les monocultures intensives ont disparu, y compris dans la Beauce qui est devenue un haut lieu de l’agroforesterie (une technique agroécologique qui allie la culture de céréales et les arbres) ; partout, les arbres et les haies ont été replantés tandis que se développaient la permaculture et les techniques de culture simplifiée (sans labour et avec couvert végétal permanent) pour (re)construire l’humus des sols, ce qui permet de capter de grandes quantités de carbone. Résultat : alors qu’en 2018, l’agriculture industrielle était responsable de 20% des émissions françaises de gaz à effet de serre (cent millions de tonnes !), aujourd’hui ce secteur est redevenu ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être : un puits de carbone. D’une manière générale, les fermes sont beaucoup plus petites qu’il y a vingt ans et plus diversifiées : outres les aliments, destinés  à la consommation humaine, elles produisent de l’énergie renouvelable à petite échelle (biogaz et biomasse) ainsi que du biofuel (à partir de l’huile de noisette, de châtaignes et de noix) et des plantes médicinales. Devenus une aberration écologique et économique, les gros tracteurs ont progressivement été remplacés par des chevaux de labour. Autrefois désertée, la campagne est devenue un lieu de vie très prisé, riche en emplois pérennes dans les commerces, les petites entreprises de transformation ou de services. En vingt ans, la France a atteint son autonomie alimentaire et n’est pas loin de l’autosuffisance énergétique grâce à un réseau dense et décentralisé d’énergies renouvelables géré par des coopératives locales. Au fur et à mesure que montaient en puissance l’énergie éolienne, solaire, la géothermie ou la biomasse, nous avons pu fermer 80% des centrales de notre vieux parc nucléaire, tout en créant des centaines de milliers d’emploi, car le programme national de transition a permis justement d’anticiper les nécessaires mutations en ne laissant personne sur le bord de la route !

Comme l’avait annoncé Emmanuel Macron  lors de la deuxième CGT (conférence sur la grande transition),  l’Europe et les Etats-Unis ont renoncé à signer leur accord de « libre échange » car il n’allait favoriser que les multinationales devenues l’incarnation du mal qui rongeait la civilisation moderne : le capitalisme sauvage. En mai  2019, s’est tenue au Parlement Européen une grande fête pour célébrer la disparition de Monsanto et de Bayer, deux mastodontes de la chimie, qui – à peine mariés, – ont appelé toutes les entreprises côtées en bourse à mettre leur activité au service de la transition. L’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui ne servait aussi que les intérêts des barons de la croissance fut démantelée et remplacée par l’Organisation mondiale des taxes (OMT).  L’OMT veilla à ce que les entreprises qui faisaient du commerce international ou exportaient respectent bien les normes environnementales, sanitaires et sociales désormais en vigueur, sous peine d’être lourdement taxées. Petit à petit, tous les comportements délictueux furent éradiqués car le jeu n’en valait plus la chandelle. Bien évidemment le système financier fut aussi profondément remanié afin d’éliminer définitivement la spéculation qui est désormais considérée comme un crime quand elle concerne tout ce qui touche aux biens communs : la nourriture, l’eau, l’énergie ou l’argent. Aujourd’hui, l’Europe connaît une énorme diversité monétaire : chaque ville, département ou région, mais aussi chaque pays bat sa propre monnaie, l’euro ne servant plus qu’aux échanges entre les États membres de l’Union.

D’une manière générale, l’économie s’est remise au service de l’intérêt général et  ne profite plus qu’à une petite minorité toujours plus riche. Une ordonnance, imposée par le président Macron, favorise désormais l’économie réelle  répondant à de vrais besoins : les monnaies complémentaires, les banques de temps, les SEL (systèmes d’échange locaux), les ressourceries, les repair cafés ont fleuri sur tout notre territoire. Pour faire face à la réduction drastique de la production, due à la fin de la surconsommation et du gaspillage, mais aussi au démantèlement de secteurs d’activité complètement ringards, comme l’agroindustrie – usines à poulets, cochons, mille vaches, etc- le gouvernement d’Edouard Philippe a décidé de partager le travail, en en diminuant la durée : aujourd’hui, nous ne travaillons plus que vingt heures par semaine, ce qui nous laisse du  temps pour nous engager dans des initiatives collectives et bénévoles qui créent du lien et donnent du sens à la vie. Du coup, le travail a cessé d’être une énorme galère comme c’était le cas dans les années 2010. Souvenez-vous du malaise qui existait alors, avec les agriculteurs, les infirmières, les postiers, etc qui se suicidaient, ou la souffrance de ceux qui travaillaient trop, ou de ceux qui ne travaillaient pas assez… Tout cela est fini ! Comme sont finies un certain nombre de coutumes instituées après la seconde guerre mondiale, qui étaient liées à l’addiction à la consommation, encouragée par la publicité – 500 milliards d’euros en 2014- ou le système de l’endettement.

Une anecdote que m’a rapportée récemment une institutrice du primaire. Dans le cadre de son cours d’histoire, elle a demandé à ses élèves de travailler sur les « coutumes disparues de la civilisation consumériste », encore appelée « société du gaspillage ». Elle a recommandé aux enfants d’interroger leurs parents et grands parents. Deux coutumes ont surpris vivement les élèves : deux fois par an, les drogués de la consommation avaient coutume de se ruer dans les magasins pour faire les soldes. Ils étaient contents d’acheter deux pantalons pour le prix d’un, alors qu’ils n’avaient pas besoin de pantalons ! Une drôle de coutume assurément. De même, les élèves ont rapporté avec étonnement que des centaines de milliers de familles s’achetaient un bout de terrain pour construire une maison, dans laquelle chacun avait sa machine à laver et sa tondeuse à gazon, des équipements qui tombaient souvent en panne, car nous vivions à l’époque de l’obsolescence programmée, un mot que les enfants d’aujourd’hui ne connaissent pas. Je rappelle que l’obsolescence programmée relève de l’ « écocide », le crime contre les écosystèmes, reconnu par le droit international depuis 2020.

 

Dans les pays du Sud où le capitalisme sauvage avait fait tant de dégâts, les populations ont, enfin, pu prendre en main leur développement et libérer leurs forces vives. La capacité de résilience qu’elles avaient dû développer pour survivre dans un environnement brutal et profondément injuste leur a permis d’éradiquer rapidement l’extrême misère, la faim et la malnutrition et donc de contrôler leur croissance démographique. Le flot des migrants qui fuyaient les conflits ou des conditions de vie difficiles s’est tari et avec lui la vague des mouvements d’extrême droite qui menaçaient les vieilles démocraties européennes.

C’est ainsi qu’en une vingtaine  d’années, l’humanité a su éliminer la croissance exponentielle de son économie et de sa population. We got it ! Au nom des générations futures, je remercie tous ceux qui ont œuvré pour l’indispensable transition, ce qui nous a permis d’éviter l’effondrement et de vivre, enfin, heureux et libres !

L’expérience nous le prouve : la transition n’est pas synonyme d’austérité ni de sacrifice, mais de bonheur ! Vive la transition !

Et franchement, qu’est-ce qu’on attend ?