28′ d’ARTE. Mes réponses aux trois questions d’actualité

 

Hier dans le 26′ d’ARTE, trois questions d’actualité devaient être commentées par Ana Kowalska, correspondante de la télévision polonaise TVN, Zyad Liman, directeur et rédacteur en chef d’Afrique Magazine, et moi-même, en tant qu’ « invitée fil rouge » de l’émission. La veille nous avions reçu les trois questions, avec une série d’articles de différents journaux, pour pouvoir préparer nos interventions. En bonne élève consciencieuse (!) j’avais passé la journée à synthétiser ce que m’inspiraient ces trois sujets.

1 > Visite de Macron, Scholz, et Dragui à Kiev
Soutien politique, soutien militaire : La France en fait-elle assez pour l’Ukraine ?

Est-ce que Macron en fait assez pour l’Ukraine ? Je voudrais ramener cette question aux grands enjeux auxquels est confrontée l’humanité : le dérèglement climatique, l’extinction de la biodiversité et le risque de pandémies qui est lié aux deux premiers. Bien sûr qu’il faut soutenir les Ukrainiens, y compris par des moyens militaires, même s’il me coûte de faire la pub  des marchands d’armes.     C’est l’urgence du court terme. Mais cette guerre atroce devrait aussi être l’occasion pour la France et l’Union européenne de revoir complètement leur politique agricole et énergétique. Si Poutine, dont les agissements criminels sont connus de longue date, s’est lancée dans cette aventure, c’est parce qu’il savait qu’il avait deux énormes moyens de pression : notre dépendance au gaz russe, qui sert notamment à faire des engrais chimiques, et sa position dominante sur le marché du blé, puisque que la Russie assure avec l’Ukraine 30% des exportations mondiales de cette céréale. C’est le moment pour l’UE de lancer un vrai pacte vert : dans le domaine de l’énergie, cela veut dire soutenir massivement les énergies renouvelables et surtout la sobriété, c’est-à-dire la réduction de la consommation ; dans le domaine agricole, cela veut dire sortir progressivement du modèle agroindustriel, très gros producteur de CO2 (10% des émissions de l’UE), fondé sur l’exportation de denrées agricoles, et notamment de céréales.

Récemment 500 scientifiques, sous l’égide du PIK, un organisme de recherche allemand spécialisé sur le climat ,  ont publié un appel pour  une transformation du modèle alimentaire.  Ils rappellent – à juste titre – qu’il n’y a pas actuellement de pénurie d’aliments, mais une répartition inégale des aliments produits, notamment parce que les politiques libérales autorisent la spéculation sur les denrées alimentaires. C’est la spéculation qui affame les peuples, pas le manque d’aliments ! Ils préconisent trois mesures capitales : baisser notre consommation de viande, pour réduire la part des céréales produites destinées à l’alimentation animale (en France 47% du blé et 33% du maïs) ; réduire le gaspillage (celui-ci représente pour le seul blé en Europe  la moitié des exportation ukrainiennes); Et bien sûr,   encourager l’agroécologie qui est la seule capable d’assurer la souveraineté  alimentaire des peuples (c’est-à-dire la capacité des peuples à se nourrir eux-mêmes), mais aussi d’atteindre les objectifs de l’accord de Paris.

Au lieu de cela, Macron et l’UE appellent à renforcer le « rôle nourricier » de l’Europe, en accélérant le modèle productiviste et exportateur…

2 > Le vol Londres-Kigali de transfert des réfugiés au Rwanda entravé par la justice. La politique de Bojo peut-elle vraiment dissuader les candidats à l’exil d’aller au RU ?

Je vais procéder de la même manière que pour la première question. On assiste à une multiplication des crises liées au système productiviste dominant qui est la cause majeure du dérèglement climatique, lequel provoque pénurie d’eau et baisse de la production alimentaire à cause des aléas de plus en plus fréquents.  Le système productiviste  est aussi à l’origine de l’explosion des inégalités et de l’accaparement des richesses par une petite minorité, et des guerres pour le contrôle des ressources qui se raréfient : tout cela pousse des millions d’hommes et de femmes sur le chemin de l’exil. Que font les grandes nations occidentales ? Elles ferment les yeux sur ces causes et, pire, elles encouragent le détricotage du droit international, patiemment élaboré au cours du XXème siècle. Boris Johnson n’exclut pas d’ abandonner la Convention européenne des droits de l’Homme, que le pays a contribué à façonner en 1950. L’Union européenne aussi s’asseoit sur la convention de Genève relative au statut des réfugiés en sous-traitant contre de l’argent la gestion des migrants à la Lybie et la Turquie, deux pays qui pratiquent la torture.

Ce détricotage se fait par petites touches, mais sape progressivement les bases du multilatéralisme et conduit au retour généralisé de la loi de la jungle. Il faut du courage politique pour lutter contre ces dérives! L’Europe devrait montrer l’exemple, en réaffirmant les valeurs qui ont présidé à sa fondation, comme le respect inconditionnel des droits humains. Au lieu de cela : La DG du Commerce de l’UE, dirigée par le conservateur Valdis Dombrovskis, hésite à interdire l’importation de produits issus du travail forcé des Ouïghours en Chine, comme le font les USA et le Canada, au nom de la « liberté du commerce ». Il ne faut pas s’étonner ensuite qu’il y a une défiance par rapport aux objectifs réels de l’Union européenne.

Quant aux migrants, je suis d’accord avec le Transnational Institute qui dit qu’on ne pourra pas les retenir, car « ils partent pour survivre ». Encore une fois : attaquons nous aux causes, pour éviter que des millions de personnes prennent la route de l’exil.

3 > Enquête parlementaire sur l’assaut du Capitole : Trump fustige une parodie de justice . USA : Le trumpisme est-il vraiment mort ?
Trump, armes, médias : Les Etats plus désunis que jamais ?

Ce qui s’est passé au Capitole le 6 janvier 2001 est clairement une dérive majeure – la commission parle de « tentative de coup d’Etat- qui n’a pas été sanctionnée. Et ne le sera sans doute jamais. S’il y avait eu un événement similaire en Amérique Latine, il y aurait eu une condamnation immédiate par les chancelleries occidentales… Mais s’agissant de la première puissance économique mondiale, ce fut le silence radio.

Il faut se rendre à l’évidence : les Etats-Unis s’éloignent de plus en plus du modèle démocratique qu’ils ont longtemps incarné : effritement  des contre-pouvoirs et une polarisation telle de la société qu’une guerre civile ne peut pas être exclue. En fait, l’effondrement démocratique des Etats Unis a commencé avec Ronald Reagan au début des années 1980 , le champion de l’ultralibéralisme qui a finalement confié les rênes du pays aux multinationales et grands groupes financiers. C’est très inquiétant car ce sont eux qui contribuent au dérèglement climatique, à l’extinction de la biodiversité et au risque de pandémies, en niant systématiquement l’impact de leurs activités sur l’environnement.

Nous sommes à la croisée des chemins : soit on laisse les ressources s’épuiser, (biodiversité, mais aussi les minerais, etc),  le climat se dérégler, et les inégalités s’envoler, et le résultat sera une multiplication des conflits armés et internes aux nations. Avec une tendance au repli sur soi,  et l’érosion des droits humains. Soit on fait preuve de courage politique et on change résolument de cap, avant que la barbarie s’installe durablement sur la planète.