Le sénateur Pierre Médevieille (UDI), vice-président de l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a donné une interview à La Dépêche, où il révèle les grands lignes du rapport sur « l »indépendance et l’objectivité des agences sanitaires »qui sera présenté ce jeudi, dans lequel 14 pages (sur 165) sont consacrées au glyphosate. J’ai déjà réagi brièvement, lundi, à cet entretien dans l’Instant M de Sonia Devillers, mais je voudrais revenir plus précisément sur quatre énormités que dit le sénateur de Haute-Garonne. J’ai noté que devant la polémique que ses propos ont suscitée, le pharmacien a accusé La Dépêche de « malhonnêteté », mais l’interview ayant été enregistrée, j’ai décidé d’ignorer cette accusation.
» Je rappelle que le glyphosate a été décrété cancérogène par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de Lyon, en contradiction avec les études menées par l’ Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) dont le président a affirmé que le glyphosate a été surclassé au rang de substance cancérogène sous la pression médiatique« .
Voici ce qu’on appelle une réécriture de l’histoire! Si Roger Genêt, directeur de l’ANSES a vraiment tenu ces propos, alors j’affirme qu’il ment! En effet, lorsque, le 20 mars 2015, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), qui dépend de l’Organisation mondiale de la santé, a publié son avis sur le glyphosate, personne ne s’y attendait et il n’y avait AUCUNE, mais vraiment AUCUNE « pression médiatique« ! Ce n’est que cinq jours plus tard que Stéphane Foucart, journaliste au Monde, a publié le premier d’une longue série d’articles sur l’herbicide phare de Monsanto.
« Après avoir beaucoup travaillé avec les agences scientifiques sur ce produit, j’affirme que si le glyphosate a certainement beaucoup de défauts, aucune étude scientifique ne prouve formellement sa cancérogénicité ni en France, ni en Europe, ni dans le monde ».
Ben voyons! Pour classer le glyphosate « cancérigène probable pour les humains« , les dix-sept experts du CIRC ont analysé un millier d’études sur le glyphosate publiées dans des revues scientifiques. Ils en ont retenu 250, en raison de leur qualité. Ils en ont conclu que pour certains types de cancer, comme le lymphome non-hodgkinien, les données scientifiques sur les animaux et les humains étaient suffisamment « solides » pour placer l’herbicide dans la catégorie 2A, « cancérigène probable pour les humains« . Par ailleurs, au moins deux études réalisées par un laboratoire privé pour le compte de Monsanto et transmises à l’agence de protection de l’environnement (EPA) dans le but d’obtenir l’autorisation de mise sur le marché du glyphosate, montrent que la molécule est cancérigène: une étude de 1981 sur des rats montre que l’herbicide provoque des cancers des testicules et de la thyroïde; une autre de 1983 réalisée sur des souris montre qu’il provoque des cancers du rein. Les résultats de cette dernière étude étaient si troublants que l’EPA a décidé de classer le glyphosate comme « cancérigène possible pour les humains » (Groupe C) en 1985. Ce qui a provoqué l’ire de la multinationale, laquelle s’est empressée de payer un scientifique pour minimiser les résultats de cette étude. Comme par « miracle », ainsi que je l’explique dans mon livre Le Roundup face à ses juges, l’EPA a revu sa position pour finalement placer l’herbicide dans le Groupe E, malgré le désaccord de plusieurs experts de l’agence, qui ont refusé de signer l’avis.
« Je sais que des «pisseurs volontaires» saisissent les tribunaux au prétexte qu’ils ont découvert des traces de glyphosate dans leurs urines. Savent-ils, comme les magistrats, que cette molécule est ajoutée à nos lessives pour nettoyer les canalisations ? »
Alors là, le sénateur frise tout simplement le ridicule! Explication: quand le glyphosate est épandu dans les champs, une partie se dégrade en AMPA, son principal métabolite. Or, l’AMPA est aussi un métabolite des phosphonates qui, en 2004, ont remplacé les phosphates dans la composition des lessives. Quand on retrouve de l’AMPA dans les eaux des rivières, une partie peut effectivement provenir des lessives, non pas parce qu’on « met du glyphosate dans les lessives pour nettoyer les canalisations » (!!!), mais en raison des phosphonates. Il n’en reste pas moins qu’une partie de l’AMPA retrouvé dans les rivières provient aussi du glyphosate, qui est, par ailleurs, l’un des principaux polluants des eaux de surface et souterraines (en plus de l’AMPA). Enfin, quand les « pisseurs volontaires » donnent leurs urines, pour mesurer leur degré de contamination par le glyphosate, c’est bien le glyphosate (et pas l’AMPA) qui est recherché grâce au test Elisa. Celui-ci permet de détecter de faibles taux de l’herbicide (0,05 μg par litre d’urine).
« A la question : Le glyphosate est-il cancérogène, la réponse est non ! Il est moins cancérogène que la charcuterie ou la viande rouge qui ne sont pas interdites. »
Là le sénateur UDI ne s’est pas foulé: il s’est contenté de reprendre un « élément de langage » fourni par l’agence Fleischmann-Hillard aux journalistes que je cite mot à mot: « Récemment, le CIRC a classé la viande rouge comme « probablement cancérigène » et la viande transformée (jambon, charcuterie) comme cancérigène. Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas manger ces aliments. En effet, le CIRC n’a pas pris en compte les données d’exposition à ces aliments et n’a pas calculé le risque. »
Notons au passage que l' »élément de langage » contient une erreur: pour établir son avis sur les viandes rouges et transformées, le CIRC a bien évalué le risque, sinon il n’aurait pu émettre son avis! Si, d’après notre brillant sénateur/pharmacien, tout n’est finalement qu’une question de quantité, je l’invite donc à boire un petit verre de glyphosate pour accompagner son plat de charcuterie!
Je précise que l’agence Fleischmann-Hillard est l’agence qui a fiché 200 personnalités dans le fameux « fichier Monsanto ». J’en faisais partie, avec cette mention: « Strong opponent. Made Le monde selon Monsanto ». Quelle perspicacité! Récemment un confrère d’Europe 1 m’a demandé si j’allais porter plainte contre Bayer-Monsanto. À dire vrai, j’ai plutôt envie de porter plainte contre Fleischmann-Hillard et Publicis qui gagnent de l’argent avec ce genre de (sale) boulot.
Sur quelles bases pouvez-vous affirmer cela ?
« Sur la base d’études scientifiques ! Des études menées à l’Agence européenne de sécurité alimentaire de Parme, à Bruxelles, à l’ANSES, agence la plus performante en Europe et probablement au monde ».
Le déni et l’aveuglement de l’élu de la république est impressionnant. Comme l’a révélé une ONG autrichienne, le rapport de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) sur le glyphosate comprenait une centaine de pages qui était un copié-collé d’un document remis par Monsanto en 2012. Par ailleurs, une lettre signé par 98 scientifiques , dont l’Américain Christopher Portier, accuse l’EFSA de « fraude scientifique » dans le dossier du glyphosate.
C’est pourquoi je propose de mettre Pierre Médevieille au placard de toute urgence! Par ses propos ridicules, son incompétence flagrante, et sa mauvaise foi, le pharmacien déshonore le sénat et constitue un danger pour la démocratie. Comme ce fut le cas pour l’amiante, viendra le moment où les victimes du glyphosate se lèveront pour demander des comptes aux politiques, qui par leur incurie et leur collusion avec les empoisonneurs sont responsables de leur malheur.