Pourquoi retrouve-t-on du glyphosate dans les urines de tous les citoyens français et européens? Pour répondre à cette question, je fais une synthèse des informations que j’ai collectées pour mon livre Le Roundup face à ses juges. J’invite le lecteur à s’y reporter pour y retrouver la source de tous les documents et études que j’ai consultés.
Comment le glyphosate est-il utilisé en France?
En France, comme dans le reste de l’Union européenne (à l’exception de l’Espagne), il n’y a pas de cultures transgéniques résistantes au glyphosate. Sur les 60 000 tonnes de pesticides déversées en 2016, 9 000 étaient des herbicides à base de glyphosate, dont 8 000 utilisées pour l’agriculture et 1 000 par les particuliers et gestionnaires d’espaces publics ou privés, comme la SNCF qui désherbe les abords de ses 61 000 km de voies ferrées, soit quelque 95 000 hectares. Un peu partout sur le territoire, l’herbicide est pulvérisé avant les semis de céréales (blé, maïs, orge) ou d’oléagineuses (colza, tournesol), mais aussi pour les grandes cultures de pommes de terre et de betteraves à sucre, dans les vergers, sans oublier la production horticole de légumes en plein champ ou sous serre. Résultat : « Le glyphosate et l’AMPA (son métabolite)sont les deux molécules les plus quantifiées dans les cours d’eau », ainsi que le résumait en mars 2015 l’association Générations futures, après la publication du dernier rapport du Commissariat général au développement durable sur la présence de pesticides dans les eaux. Celui-ci révélait que l’herbicide et l’AMPA étaient « présents respectivement dans 38 % et 53 % des échantillons de cours d’eau » et que « leurs concentrations dépassent le seuil de 0,1 µg/l dans respectivement 13 % et 31 % des analyses»
Le glyphosate reste-t-il dans le sol et peut-il contaminer les cultures suivantes?
Contrairement à ce qu’a toujours prétendu Monsanto, le glyphosate s’accumule dans les sols, en raison de son pouvoir de chélation. C’est ce que m’a expliqué Don Huber, un phytopathologiste américain de l’Université Purdue. Pour comprendre comment fonctionne la chélation, et d’une manière plus générale comment le glyphosate affecte les sols et les plantes, je mets en ligne une vidéo où le scientifique, qui est aussi colonel de l’armée US, dresse un bilan très inquiétant devant un public de producteurs OGM du Midwest.
D’après Don Huber, qui a travaillé sur les armes chimiques et bactériologiques à Fort Detrick (Maryland), la demi-vie du glyphosate [période au cours de laquelle une substance chimique perd la moitié de sa puissance active] est d’au moins vingt ans. « En supposant que l’herbicide soit un jour interdit, il faudra une génération avant de nous débarrasser de la molécule, qui, une fois chélatée, se dégrade très difficilement« , m’a expliqué Don Huber.
Que prétend Monsanto?
Dans un document de Monsanto France intitulé « Coupons l’herbe sous le pied à quelques idées reçues ! », on peut lire (p.14) : « La fraction de produit qui n’atteint pas la plante cible tombe sur le sol puis est dégradée complètement par les micro-organismes en éléments organiques et minéraux simples directement assimilables. Fixé puis dégradé dans le sol, le glyphosate n’a pas d’effet “résiduaire”, donc pas d’activité sur la culture suivante. »
En décortiquant le document, je me suis dit que la firme était décidément incorrigible, car avec l’aplomb des menteurs professionnels, elle soutient que « dans le sol, la demi-vie moyenne du glyphosate est d’environ trente-deux jours ». Or, comme l’avait révélé un procès intenté par l’association Eaux et rivières de Bretagne , une étude déclassifiée de Monsanto montre qu’« un niveau de dégradation biologique de 2 % seulement peut être obtenu après vingt-huit jours »…
Pour tordre définitivement le cou à l’une des plus importantes contrevérités colportées par Monsanto et reprise les yeux fermés par la prose institutionnelle, je citerai le travail de Robert Kremer. Rattaché à l’université du Missouri , ce microbiologiste de l’USDA (le ministère de l’agriculture) a notamment coordonné un numéro spécial du European Journal of Agronomy, présentant les travaux d’un colloque qui a réuni des agronomes internationaux à Piracicaba (Brésil) en septembre 2007. Publiées dans des revues scientifiques à comité de lecture, plusieurs études montraient la persistance du glyphosate dans les sols, dont les effets continuaient d’affecter la « croissance des plantes, deux ou plusieurs années après l’application ». D’autres présentaient les « conséquences du transfert du glyphosate vers des plantes non-cibles (les cultures) via la rhizosphère après une application sur des plantes cibles (la végétation non désirée) ». C’est ainsi que les « racines d’arbres fruitiers avaient absorbé le glyphosate largué par les racines mourantes de mauvaises herbes des allées aspergées par l’herbicide » ou que de jeunes « citronniers avaient assimilé le glyphosate contenu dans un paillis constitué d’herbes tuées par l’herbicide ».
Quels aliments contiennent des résidus de glyphosate?
L’Union européenne a établi une liste de… 378 produits alimentaires susceptibles de contenir des résidus de l’herbicide. Le résultat : des milliers de chiffres permettant d’établir les fameuses « limites maximales de résidus », ou « LMR », qui désignent la quantité de résidus d’un produit toxique, comme le glyphosate, autorisée aliment par aliment. J’ai fait une petite sélection parmi les 378 produits alimentaires pour lesquels « s’appliquent des LMR », comme le dit le site de l’Union européenne (entre parenthèses figure la norme, en mg/kg) : lentilles (10), graines de moutarde (10), petits pois (10), olives pour huile (1), pommes (0,1), thé (2), fleurs de rose (2), lupins (10), épinards (0,1), laitues (0,1), choux-fleurs (0,1), maïs doux (3), pommes de terre (0,5), raisins (0,5), fraises (2), betteraves à sucre (15), soja (20), tournesol (20), colza (10), kiwi (0,1), pistaches (0,1), oignons (0,1), blé (10), avoine (20), orge (20), riz (0,1), café (0,1), houblon (0,1), foies de porc (0,05), muscle de bovin (0,05), œuf de poules (0,05), etc.
Le lecteur aura remarqué que les LMR varient d’un minimum qui est la valeur plancher de 0,05 mg/kg à un maximum (provisoire ?) de 20 mg qui concernent notamment le soja. En fait, les valeurs les plus hautes sont attribuées aux produits agricoles, dont des variétés transgéniques Roundup Ready sont cultivées en Amérique du Nord et du Sud. Ce n’est pas un hasard : la LMR américaine du soja est passée de 5 mg/kg à 20 mg/kg très exactement en 1997, au moment où le soja transgénique envahissait les plaines de l’Iowa ou de la Pampa ! Deux ans plus tard, au moment où le soja RR faisait son entrée dans les élevages industriels du Vieux Continent, l’Union européenne suivait le mouvement en multipliant sa LMR du soja par… deux cents afin de l’aligner sur celle des États-Unis (de 0,1 mg/kg à 20 mg/kg) ! Celle du maïs a été multipliée par dix en 1999, au moment de l’introduction du maïs OGM, même chose pour la betterave sucrière en 2012, etc. À chaque fois, les agences de réglementation ont adapté les normes, car elles savaient que le taux de résidus de glyphosate allait nécessairement augmenter en raison même de la technique Roundup Ready. C’est bien la preuve que la Dose Journalière Acceptable (DJA) et les LMR sont des « artefacts pseudoscientifiques », comme me l’a dit le professeur Erik Millstone (Grande Bretagne), puisque les agences peuvent les changer au gré des pratiques agricoles ou des demandes de… Monsanto. Ce fut le cas pour les lentilles en 2012, ainsi que le dit noir sur blanc un document de l’EFSA : « L’Allemagne a reçu une pétition de Monsanto Europe pour que soit accordé un seuil de tolérance élevé au glyphosate dans les lentilles importées. Afin de tenir compte de l’usage du glyphosate comme agent dessiccatif qui est autorisé aux États-Unis et au Canada, la proposition a été faite d’augmenter la LMR des lentilles à 10 mg/kg ». Voilà comment, sur une simple demande de Monsanto, la LMR des lentilles a été multipliée par cinquante…
En Amérique du Nord, en effet, l’usage du glyphosate en « pré-récolte » sur des plantes non transgéniques est très fréquent. D’après la propagande de Monsanto, il permet de combattre les mauvaises herbes juste avant les moissons, mais aussi d’accélérer le mûrissement des grains en les desséchant. La firme le recommande pour les cultures de blé, d’orge, d’avoine, de colza, de lin, de pois, de lentilles, de haricots secs et de soja non-OGM. En Europe, la Glyphosate Task Force, qui a mené le combat pour la réautorisation du glyphosate, recommande aussi très ouvertement cet usage comme une « bonne pratique agricole », en assurant que les « résidus de glyphosate qui restent sur les cultures traitées et auxquels les consommateurs peuvent être exposés sont minimaux et nettement inférieurs à la dose journalière acceptable ». Pour convaincre les réticents, le consortium industriel a mis en ligne une vidéo où l’on voit un agriculteur allemand, Eric Krull, en train d’épandre du glyphosate sur ses épis de blé, afin – explique-t-il – de « réduire le taux d’humidité des grains et d’assécher la paille qui n’a plus besoin de sécher pendant deux jours dans le champ»… Cette pratique, ajoutée au fait que le blé est généralement semé dans un champ désherbé au glyphosate, explique pourquoi la DJA de la céréale est très élevée (10 mg/kg), alors que celle-ci est l’une des denrées la plus consommée en Europe…
Des tests conduits par le gouvernement britannique sur les résidus de glyphosate dans le pain ont montré que 38 % des échantillons étaient contaminés, avec une concentration maximale de 0,9 mg/kg. Le pain complet était particulièrement touché, en raison de la présence de son, qui affichait jusqu’à 5,7 mg/kg de glyphosate.
L’étude britannique constitue une exception, car en général ce sont les associations écologistes, parfois en liaison avec des universités, qui mènent la tâche essentielle de mesurer les résidus de glyphosate dans l’alimentation. Mais leurs moyens étant limités, leurs études le sont aussi et visent surtout à tirer la sonnette d’alarme. C’est ainsi qu’aux États-Unis Food Democracy Now ! s’est associée aux Laboratoires Anresco de San Francisco, qui collaborent avec la Food and Drug Administration depuis 1943. Vingt-neuf produits alimentaires de consommation courante Outre-Atlantique – chips, céréales de petit-déjeuner, cornflakes, cookies et autres crackers – ont été testés ; et les résultats sont spectaculaires : la palme d’or revient aux « Original Cheerios » qui contiennent 1,125 mg/kg de glyphosate. Miam ! À côté, les corn-flakes Kellog’s font pâle figure avec 0,078 mg/kg. Et que dire des Crispy Cheddar Crackers avec leurs 0,327 mg/kg ou des Stacy’s Simply Naked Pita Chips qui affichent au compteur 0,812 mg/kg ? Dans son rapport publié en novembre 2016[ii], Food Democracy Now ! rappelle que plusieurs études scientifiques récentes », dont celle de Michael Antoniou et Gilles-Éric Séralini montrent que le glyphosate peut provoquer des dommages à la santé humaine à « des doses ultra-faibles de 0,1 ppb », à savoir 0,1 part par milliard, ce qui correspond à 0,0001 mg/kg. En France, une étude publiée par Générations Futures confirment la contamination des aliments et notamment des … lentilles. Sur les 30 aliments testés (18 à base de céréales et 12 de légumineuses sèches), 16 échantillons sur 30 contenaient du glyphosate, soit 53,3%.
Pour finir, je mets en ligne l’interview que j’ai réalisée avec Michael Antoniou, chercheur en biologie moléculaire au King’s College de Londres.