Le clivage gauche/droite est obsolète

L’annonce que j’allais voter EELV aux prochaines élections a suscité un débat fort intéressant. Normal: tous ceux qui ont vraiment conscience que la « maison brûle » ne peuvent qu’enrager de voir cinq listes concourir dans la catégorie « écologie ». Je mets la liste « Renaissance » (LRM) à part, car pour être crédible (je l’ai écrit: on a le droit de changer, sinon on est foutu) il eût fallu que le parti présidentiel ait montré par des actes qu’il avait compris l’urgence écologique. Mais force est de reconnaître qu’en deux ans de pouvoir, il n’a RIEN fait. Beaucoup de paroles et de mesurettes à la marge, mais sur le fond aucune décision d’envergure. 
J’ai été interpelée sur le positionnement droite/gauche de EELV. Pour moi aujourd’hui, le clivage essentiel n’est plus là, mais il est, d’abord,  entre productivistes et non productivistes. Je rappelle qu’un grand nombre de « grands projets inutiles » – comme l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ou EuropaCity- étaient (et sont) portés par des élus socialistes et communistes. Dimanche dernier, j’étais à Gonesse pour soutenir la résistance au projet d’EuropaCity. Juste avant, j’avais reçu , ainsi que tous les intervenants, un courrier de Jean-Pierre Blazy, maire PS de Gonesse, qui m’a consternée. Après avoir noté que EuropaCity « ne saura pas un centre commercial: il n’y aura pas de caddy. Il s’agit d’un pôle dédié aux loisirs et à la culture avec des restaurants, des hôtels et des commerces, comme tout pôle touristique (…) il amènera de l’esthétisme en banlieue« .

Quel esthétisme! Je rappelle que le projet prévoit de bétonner 240 hectares de terres agricoles (EuropaCity + ZAC), et que les promoteurs espèrent 30 millions de visiteurs par an, dont 34% viendront en voiture. Bilan carbone: l’équivalent d’une ville de 140 000 habitants, alors que personne n’habitera sur place! Les opposants , dont la caractéristique commune n’est pas d’être de droite ou de gauche mais d’être antiproductivistes ont conçu un magnifique projet alternatif, baptisé CARMA (Coopération pour une ambition agricole rurale et métropolitaine d’avenir) qui lui me fait rêver!Visant à rendre  aux terres de Gonesse leur destin d’origine – nourrir les habitants de l’Ile-de France -, CARMA  propose d’y installer une zone de production maraichère et agricole de grande envergure, qui pourra fournir en produits frais, sains et de proximité les habitants des environs et notamment les cantines des écoles et des hôpitaux. Cet espace agricole sera doté d’un structure de conditionnement et de diffusion en circuit-court, d’une usine de méthanisation pour les déchets, d’un centre de formation agricole, et sera un hub pour les métiers d’avenir : rénovation thermique, éco-construction, mobilité durable. On y trouvera aussi des circuits de randonnée, des aires de promenades et de forêts, faisant des zones urbaines riveraines des lieux d’habitations recherchées. CARMA c’est l’économie du futur! Malheureusement Jean-Pierre Blazy, l’élu socialiste, n’a toujours rien compris et s’accroche à une vision du développement obsolète, qui est l’une des causes de l’impasse globale dans laquelle nous nous enfonçons.

J’en profite pour souhaiter à Raphaël Gluckmann et Claire Nouvian de parvenir au plus vite à débarrasser le PS (ou ce qu’il en reste) de ses vieux oripeaux productivistes. Sinon Place Publique aura raté sa mission: rompre le lien historique entre la social-démocratie et le productivisme, et j’ajouterais le « croissancisme », c’est-à-dire l’obsession du « toujours plus » – toujours plus de production et de consommation- comme moteur de l’économie. Inutile de préciser que l’autre représentant de la « gauche classique », à savoir le PC, est aussi loin d’avoir fait l’indispensable mutation. J’ai participé samedi dernier à un apéritif dans le passage de Haguette, au coeur de Saint-Denis (93), un terrain vague destiné à « être construit » où un collectif très dynamique a installé un magnifique jardin partagé, ouvert aux écoliers et aux personnes âgées. Très clairement Laurent Russier, le maire PC de Saint-Denis, a du mal à comprendre que l’avenir des villes est dans ce genre d’initiatives plutôt que dans la construction d’un immeuble ou d’un énième terrain de foot…

Un autre point déterminant pour moi, c’est la remise en cause du libéralisme économique, qui dans cette phase ultime du capitalisme mondialisé, a besoin des « accords de libre échange » pour continuer à prospérer (et donc à provoquer ses multiples dégâts). Là-dessus, je pense que l’engagement de EELV et notamment de Yannick Jadot est sans ambiguïté: le parti et sa tête de liste n’ont cessé de s’opposer  au TAFTA, CETA, ou à l’accord avec le Mercosur.

Enfin, j’ai été interpelée sur le « panier de crabes » qu’a longtemps représenté EELV. Je suis d’accord. J’ai moi-même dénoncé, y compris dans une université d’été du parti, l’ego surdimensionné de certains de ses élu(e)s qui ont finalement fait beaucoup de mal à la cause écologique, en utilisant EELV comme un tremplin pour leur carrière personnelle. Ces élue)s ont aujourd’hui quitté le bateau sans aucun état d’âme. Bon débarras! Mais je le répète: on a le droit de changer, sinon on est foutus! Si on n’accepte pas l’idée du « droit au changement », alors que dire de la « mutation écologique » de Jean-Luc Mélenchon ou de Benoît Hamon, qui furent tous les deux des apparatchik du PS, à un moment où socialisme ne rimait pas du tout avec écologie? Or, je suis convaincue que les deux hommes ont sincèrement changé,  et c’est tant mieux!