Les 100 photos du siècle: Guérilla au Nicaragua, 13/100

 

A un moment de ma vie, j’ai partagé avec Susan Meiselas, photographe à l’agence Magnum, une affection particulière, pour le Nicaragua, un petit pays d’Amérique centrale, qui avait réussi, en juillet 1979, à bouter hors du pays le dictateur sanguinaire et corrompu Anastasio Somoza. En 1936, son père avait fait assassiner Sandino, le héros indépendantiste, qui donnera son nom à la guérilla du FSLN (Frente Sandinista de Liberación Nacional), dirigée par un certain Daniel Ortega. Celui-ci avait croupi pendant sept ans dans les prisons de la dictature de la dynastie Somoza, que les Etats-Unis ont toujours soutenue, y compris militairement. L’histoire de la fin de la dictature  a été racontée dans le film Underfire (1983) de Roger Spottiswoode, dans lequel joue Trintignant.

La révolution sandiniste a soulevé beaucoup d’espoir, car elle voulait tracer une troisième voie, entre le libéralisme capitaliste et le communisme pro-soviétique, dont se réclamaient alors des pays comme Cuba ou le Vietnam. C’est ainsi, qu’à peine sortie de l’école de journalisme, je me suis envolée pour le Nicaragua, en juillet 1985, en intégrant une « brigade de solidarité »: ces groupes de volontaires étaient répartis dans des endroits stratégiques du pays, où ils passaient trois semaines, dans le but de dissuader la « contra »,-  les para-militaires antisandinistes, financés et armés par l’administration de Ronald Reagan-, de perpétuer leurs forfaits. Postés au Honduras, les contras faisaient des incursions au Nicaragua pour assassiner de préférence les instituteurs, les leaders communautaires ou les infirmiers, qui symbolisaient la révolution sandiniste. Ma brigade, constituée d’une dizaine d’intellectuels et de militants politiques français, s’est retrouvée à Sébaco, une petite ville située dans le Nord du pays, non loin de la frontière hondurienne, où nous étions censés participer à la construction d’une usine de conserves. J’écris « censés », parce qu’aucun de nous n’avait jamais travaillé sur un chantier!

Aujourd’hui, la situation du Nicaragua est dramatique. C’est de nouveau une dictature, dirigée par … Daniel Ortega. L’ancien chef du FSLN  a dirigé le pays de 1979 à 1990, date à laquelle son opposante Violetta Chamorro a gagné les élections, avec le soutien des Etats-Unis.  Ortega a repris le pouvoir en 2007, et il  ne l’a plus quitté depuis 27 ans, avec son épouse Rosario Murillo, vice-présidente.  Le couple infernal mène le pays d’une main de fer, en écrasant systématiquement toute forme d’opposition: persécution judiciaire, notamment contre les journalistes et les membres de l’Eglise, arrestations arbitraires (on compte 255 prisonniers politiques). Comme au temps de Somoza, des dizaines de milliers de Nicaraguayens ont pris la route de l’exil.

J’ai filmé cette vidéo en 1998, à un moment où Arnaldo Aleman, un homme d’affaires nicaraguayen, dont les parents étaient proches de Somoza, et dont la campagne avait été financée par les anticastristes cubains de Miami, était président du pays. Pendant son mandat, qui s’est terminé en 2002, il a amassé 250 millions de dollars, ce qui lui valut d’être classé en 2004  » parmi les 10 dirigeants les plus corrompus que la planète ait connu au cours des 20 dernières années », d’après l’ONG Transparency International…