Comment certaines sociétés ont évité l’effondrement

Dans mon post précédent, j’ai expliqué pourquoi les civilisations mayas ou de l’île de Pâques se sont effondrées, entraînant la disparition de leur culture mais aussi de la totalité de leur population. Or, l’effondrement n’était pas inéluctable. Pour cela il eût suffi que soient prises des mesures collectives et individuelles pour anticiper et relever les défis environnementaux qui menaçaient la vie de la collectivité. Dans mon livre Sacrée croissance!, Jared Diamond, – le biologiste américain , auteur de Collapse (L’effondrement)- rapporte plusieurs exemples de sociétés qui ont su éviter le pire. 

Extrait de mon livre:

Les success stories de ceux qui ont su éviter la catastrophe

 « Fort heureusement, dit Jared Diamond, l’histoire connut aussi de vraies success stories qui doivent être pour nous des sources d’espoir et d’inspiration. Elles nous montrent qu’il y a deux manières de résoudre les problèmes environnementaux graves : soit du bas vers le haut, soit du haut vers le bas. » Dans la première catégorie, a-t-il expliqué, il y a l’histoire de la Nouvelle-Guinée, une île située au nord de l’Australie, dont les Européens ont longtemps pensé que l’intérieur était inhabité en raison de la forteresse de montagnes qui bordaient ses côtes. Dans les années 1930, des pilotes survolèrent les Haute Terres et découvrirent un paysage transformé par des millions d’habitants, avec des jardins, des fossés pour l’irrigation et le drainage, des cultures en terrasses ou sur buttes, où poussaient des bananiers, du taro, de la canne à sucre, du manioc, des patates douces et une grande quantité de fruits et légumes. Installés depuis 46 000 ans sur ces terres, les aborigènes pratiquaient une agriculture durable depuis au moins 10 000 ans, ce que j’ai vu de mes propres yeux ! À un moment de leur histoire, ils avaient largement déforesté, puis ils inventèrent un système de sylviculture unique en plantant une espèce d’arbre, le casuarina oligodon, qui présente la caractéristique de croître rapidement et de fournir un bois de qualité pour la construction et la combustion. Enfin, cette société agricole veillait à maîtriser sa croissance démographique (grâce à la technique du coïtus interruptus et l’avortement) et elle était plutôt égalitaire : elle n’avait pas de chefs, mais des big men (grands hommes) peu épris de bling-bling et qui vivaient dans les mêmes huttes que les autres villageois.

Dans la catégorie du haut vers le bas (top down), Jared Diamond avait cité l’exemple du Japon de l’ère des Togukawa, à partir du xviie siècle. À cette époque, l’archipel connaissait une grave crise environnementale due à un intense déboisement, commencé dix siècles plus tôt, au point que le pays vint à manquer de la précieuse ressource. Or, le bois, utilisé pour construire les maisons, les outils, les ustensiles et les armes, servait aussi de fourrage, engrais ou combustible. Les shoguns (généraux) imposèrent des mesures draconiennes pour reboiser le pays et assurer la pérennité des forêts : ils nommèrent des fonctionnaires chargés de clôturer les zones déboisées pour qu’elles puissent se régénérer, établirent des registres forestiers, interdirent l’abattage de certaines espèces, comme les cèdres ou les chênes, et édictèrent des quotas attribués à chaque famille. De la sorte, à la fin du xixe siècle, au moment où il reprenait ses échanges avec le monde extérieur, le Japon « vivait de façon durable, en presque totale autarcie ».

« Les histoires que je viens de vous raconter, avait commenté Jared Diamond, montrent l’importance de la décision collective et individuelle pour régler de graves problèmes environnementaux qui menacent la survie de la société dans son ensemble. C’est cette capacité qui a manqué aux Mayas ou aux habitants de l’île de Pâques. Pourquoi ? Si nous voulons nous-mêmes éviter l’effondrement, il est important que nous comprenions les mécanismes à l’œuvre dans l’échec. La première explication, c’est que le groupe d’humains n’est pas parvenu à anticiper le problème avant qu’il n’arrive parce qu’il n’en avait jamais connu de similaire. C’est le cas des Mayas qui déboisèrent les collines pour étendre les cultures. Parfois, le groupe peut avoir eu une expérience similaire très ancienne, mais celle-ci n’a pas été transmise, ni oralement ni par écrit : celle de la terrible sécheresse connue par les Mayas au iiie siècle n’a pas servi à leurs descendants quand elle s’est répétée au ixe siècle. Parfois, l’échec s’explique aussi par l’incapacité du groupe à percevoir un problème qui est déjà là. C’est ce qui s’est passé dans le Montana, où les propriétaires des mines ou des entreprises forestières n’habitaient pas dans l’État et avaient intérêt à minimiser l’impact des dégâts qu’ils causaient, parce qu’ils n’en souffraient pas directement, ce qui est une attitude récurrente des grandes compagnies. En Nouvelle-Guinée, en revanche, c’est la collectivité qui gérait les ressources de son territoire et chaque individu était responsable du bien-être de l’île. Il arrive aussi que le problème soit difficile à percevoir, parce que sa survenue est très lente. C’est le cas avec le réchauffement climatique. »

Jared Diamond expliqua alors qu’il avait découvert le Montana lorsqu’il était adolescent au milieu des années 1950. Il n’y était retourné qu’en 1998 et avait été frappé de voir que la neige avait quasiment disparu du sommet des montagnes, car les glaciers avaient largement fondu. Les gens du pays étaient surpris de sa réaction, car ils avaient perdu la mémoire de ce qu’était la montagne quarante plus tôt, les changements ayant été imperceptibles d’année en année. C’est ce qu’on appelle l’« amnésie des paysages ».

« Ensuite, a poursuivi le biologiste américain, il arrive que le groupe ait identifié le problème, mais qu’il n’essaie pas de le résoudre ou échoue, en raison de ce que les scientifiques appellent le “comportement rationnel”, précisément parce qu’il repose sur un calcul rationnel même s’il est répréhensible d’un point de vue moral. Ceux qui ont causé le problème se sentent à l’abri parce qu’il n’y a pas de lois qui permettent de les poursuivre ou, s’il y en a, elles ne sont pas efficacement appliquées. Ils représentent une petite minorité qui ne pense qu’à faire de gros profits immédiats et savent que les dégâts seront répartis sur un grand nombre de personnes. Cela n’encourage pas les perdants à se battre, car chacun ne perd qu’un petit peu et ne peut escompter qu’un petit bénéfice, incertain et lointain. »

Demain: le dérèglement climatique et les boucles de rétroaction positives

Les causes de l’effondrement à venir…

Dans mon livre Sacrée croissance!, j’écris en… 2034, et je raconte comment l’humanité à pu éviter l’effondrement. J’imagine que le 16 octobre 2014, François Hollande, alors président de la république, organise au Bourget les « États généraux » pour préparer le lancement de la « Grande transition ». Y participe Jared Diamond, auteur du livre Collapse (L’effondrement) qui tient une conférence. S’appuyant sur de nombreuses études scientifiques, l’auteur américain y explique les causes qui ont provoqué l’effondrement de la civilisation des Mayas ou de l’Île de Pâques. Ces deux exemples illustrent parfaitement pourquoi nous sommes en train de nous enfoncer dans une impasse à l’issue tragique, si nous ne changeons pas de mode de vie, en oubliant les leçons du passé… 

Voici l’extrait de mon livre. 

Le précédent de la chute des Mayas et de l’île de Pâques

Ensuite, PowerPoint à l’appui, Jared Diamond avait présenté plusieurs exemples de civilisations ayant disparu, comme la Crète de Minos au xiie siècle avant J.-C. ou le royaume khmer d’Angkor (qui compta jusqu’à 750 000 habitants) au xive siècle après J.-C. « On a longtemps suspecté que ces effondrements mystérieux avaient été déclenchés par des problèmes écologiques, avait-il expliqué en introduction, à savoir que les gens avaient détruit de manière non intentionnelle les ressources environnementales dont leur société dépendait. Cette hypothèse d’un suicide écologique a été confirmée par des archéologues, climatologues, historiens, paléontologues et palynologues (les spécialistes du pollen). Ceux-ci ont identifié huit facteurs qui peuvent conduire à un écocide : la déforestation et la destruction des habitats naturels (érosion des sols et salinisation), des aléas climatiques sévères, la surchasse et la surpêche, les effets d’espèces introduites sur les espèces natives, la croissance démographique et l’augmentation de l’impact écologique par habitant. Il est intéressant de noter que les sociétés qui ont été confrontées à une grave dégradation de leur environnement ne se sont pas toutes effondrées, avait poursuivi Jared Diamond. Et, contrairement à ce que l’on pourrait croire, celles qui ont disparu n’étaient pas les plus primitives de leur temps, mais les plus créatives et avancées, comme celle des Mayas. »

Le biologiste américain montra alors une photo d’un temple de Palenque, au cœur de la forêt tropicale du Chiapas (Mexique). Cette ville qui avait été l’un des hauts lieux de la civilisation maya fut mystérieusement abandonnée au ixe siècle, ainsi que d’autres cités comme Copán ou Tikal. Je l’avais visitée en 2009 et j’avais été impressionnée par les vestiges archéologiques qui témoignaient d’une histoire glorieuse, commencée plus de 2 000 ans avant Jésus-Christ[1]. Les Mayas, en effet, avaient découvert l’écriture (sur des livres en écorce de figuier), étaient férus d’astronomie, de mathématiques et d’architecture, et pratiquaient l’agriculture irriguée (avec des réservoirs d’eau, des canaux et des aqueducs) qui pendant des siècles avait permis de nourrir des millions d’habitants. D’après les scientifiques, la chute de cette civilisation sophistiquée fut d’abord due à la déforestation : au fur et à mesure que croissait la population, les paysans déboisèrent les collines qui surplombaient les vallées de moins en moins fertiles, provoquant un phénomène d’érosion dans tout le secteur ; ensuite, une sécheresse prolongée due à une modification du climat affecta gravement la production alimentaire ; enfin, le comportement « bling bling » de l’élite porta le coup de grâce : les notables aimaient étaler leurs richesses en parant leurs demeures de stuc, dont la fabrication nécessitait d’énormes quantités de bois (pour chauffer le calcaire), accélérant ainsi la déforestation, tandis que les rois des cités passaient leur temps à guerroyer et à exhiber leur puissance en faisant ériger des temples de plus en plus somptueux, plutôt que de s’occuper de la gestion quotidienne de leur territoire.

Le comportement « bling bling » est aussi l’une des deux causes principales de l’effondrement de la société de l’île de Pâques, dont les statues monumentales (les moai) continuent d’enthousiasmer les visiteurs, comme le premier d’entre eux, le navigateur Jakob Roggeveen. Le Néerlandais débarqua sur l’île, située dans le Sud-Est du Pacifique au large des côtes chiliennes, le jour de Pâques de 1722 (d’où le nom). Il constata que, contrairement au reste de l’Océanie, la végétation était rabougrie avec des arbres ne dépassant pas les trois mètres de haut. « L’île de Pâques constitue l’exemple parfait d’une société qui s’est autodétruite en surexploitant ses propres ressources, avait expliqué Jared Diamond. Entre le ixe et le xive siècle, toute la forêt a été exterminée et, avec elle, la faune et la flore dont se nourrissaient en partie les habitants. La disparition des arbres, comme les palmiers, a provoqué l’érosion des sols, et donc un effondrement de la production alimentaire, puis des famines qui ont décimé la population. De nombreux actes de cannibalisme ont été rapportés. Et l’une des causes de cette destruction insensée de l’environnement, ce sont précisément les statues ! » En effet, les cent treize moaï de tuf érigées sur des terrasses empierrées (ahu) avaient certes une valeur religieuse, mais elles représentaient aussi des symboles de richesse exhibés par les chefs de clan[2]. Et pour les déplacer (la plus haute mesure dix mètres de haut et pèse soixante-quinze tonnes), les Pascuans utilisaient des traineaux en bois, tirés avec des cordes de bois sur des rails constitués de rondins de bois.

« La tragédie de l’île de Pâques est une métaphore du sort funeste qui nous attend, avait conclu Jared Diamond, car tout indique que nous sommes en train de perpétrer le plus grand écocide de l’histoire de l’humanité. Grâce à la mondialisation, le commerce international, le trafic aérien et Internet, les pays partagent aujourd’hui les mêmes ressources et peuvent s’affecter mutuellement, comme autrefois les nombreux clans de l’île. Quand les difficultés sont devenues sérieuses, les habitants de Pâques n’avaient aucun endroit pour fuir ni personne pour les aider, de même que les Terriens n’auront aucun refuge quand le réchauffement climatique rendra la planète invivable. Sachez, cependant, que nous avons encore un tout petit peu de temps pour éviter ce scénario catastrophe, si nous sommes capables de tirer les leçons des civilisations qui ont su échapper à l’effondrement. »

[1] Les Mayas occupaient un territoire qui comprenait le sud du Mexique et les territoires actuels du Belize, du Guatemala, du Salvador et du Honduras.

[2] L’ensemble archéologique de l’île de Pâques compte 887 moaï, dont la plupart n’ont pas été achevées et ont été retrouvées dans les carrières de tuf et de basalte ; de même, sur les trois cents ahu, seuls cent treize comportent une statue.

Demain: comment certaines civilisations ont pu éviter l’effondrement…