Dans mon livre Sacrée croissance!, j’écris en… 2034, et je raconte comment l’humanité à pu éviter l’effondrement. J’imagine que le 16 octobre 2014, François Hollande, alors président de la république, organise au Bourget les « États généraux » pour préparer le lancement de la « Grande transition ». Y participe Jared Diamond, auteur du livre Collapse (L’effondrement) qui tient une conférence. S’appuyant sur de nombreuses études scientifiques, l’auteur américain y explique les causes qui ont provoqué l’effondrement de la civilisation des Mayas ou de l’Île de Pâques. Ces deux exemples illustrent parfaitement pourquoi nous sommes en train de nous enfoncer dans une impasse à l’issue tragique, si nous ne changeons pas de mode de vie, en oubliant les leçons du passé…
Voici l’extrait de mon livre.
Le précédent de la chute des Mayas et de l’île de Pâques
Ensuite, PowerPoint à l’appui, Jared Diamond avait présenté plusieurs exemples de civilisations ayant disparu, comme la Crète de Minos au xiie siècle avant J.-C. ou le royaume khmer d’Angkor (qui compta jusqu’à 750 000 habitants) au xive siècle après J.-C. « On a longtemps suspecté que ces effondrements mystérieux avaient été déclenchés par des problèmes écologiques, avait-il expliqué en introduction, à savoir que les gens avaient détruit de manière non intentionnelle les ressources environnementales dont leur société dépendait. Cette hypothèse d’un suicide écologique a été confirmée par des archéologues, climatologues, historiens, paléontologues et palynologues (les spécialistes du pollen). Ceux-ci ont identifié huit facteurs qui peuvent conduire à un écocide : la déforestation et la destruction des habitats naturels (érosion des sols et salinisation), des aléas climatiques sévères, la surchasse et la surpêche, les effets d’espèces introduites sur les espèces natives, la croissance démographique et l’augmentation de l’impact écologique par habitant. Il est intéressant de noter que les sociétés qui ont été confrontées à une grave dégradation de leur environnement ne se sont pas toutes effondrées, avait poursuivi Jared Diamond. Et, contrairement à ce que l’on pourrait croire, celles qui ont disparu n’étaient pas les plus primitives de leur temps, mais les plus créatives et avancées, comme celle des Mayas. »
Le biologiste américain montra alors une photo d’un temple de Palenque, au cœur de la forêt tropicale du Chiapas (Mexique). Cette ville qui avait été l’un des hauts lieux de la civilisation maya fut mystérieusement abandonnée au ixe siècle, ainsi que d’autres cités comme Copán ou Tikal. Je l’avais visitée en 2009 et j’avais été impressionnée par les vestiges archéologiques qui témoignaient d’une histoire glorieuse, commencée plus de 2 000 ans avant Jésus-Christ[1]. Les Mayas, en effet, avaient découvert l’écriture (sur des livres en écorce de figuier), étaient férus d’astronomie, de mathématiques et d’architecture, et pratiquaient l’agriculture irriguée (avec des réservoirs d’eau, des canaux et des aqueducs) qui pendant des siècles avait permis de nourrir des millions d’habitants. D’après les scientifiques, la chute de cette civilisation sophistiquée fut d’abord due à la déforestation : au fur et à mesure que croissait la population, les paysans déboisèrent les collines qui surplombaient les vallées de moins en moins fertiles, provoquant un phénomène d’érosion dans tout le secteur ; ensuite, une sécheresse prolongée due à une modification du climat affecta gravement la production alimentaire ; enfin, le comportement « bling bling » de l’élite porta le coup de grâce : les notables aimaient étaler leurs richesses en parant leurs demeures de stuc, dont la fabrication nécessitait d’énormes quantités de bois (pour chauffer le calcaire), accélérant ainsi la déforestation, tandis que les rois des cités passaient leur temps à guerroyer et à exhiber leur puissance en faisant ériger des temples de plus en plus somptueux, plutôt que de s’occuper de la gestion quotidienne de leur territoire.
Le comportement « bling bling » est aussi l’une des deux causes principales de l’effondrement de la société de l’île de Pâques, dont les statues monumentales (les moai) continuent d’enthousiasmer les visiteurs, comme le premier d’entre eux, le navigateur Jakob Roggeveen. Le Néerlandais débarqua sur l’île, située dans le Sud-Est du Pacifique au large des côtes chiliennes, le jour de Pâques de 1722 (d’où le nom). Il constata que, contrairement au reste de l’Océanie, la végétation était rabougrie avec des arbres ne dépassant pas les trois mètres de haut. « L’île de Pâques constitue l’exemple parfait d’une société qui s’est autodétruite en surexploitant ses propres ressources, avait expliqué Jared Diamond. Entre le ixe et le xive siècle, toute la forêt a été exterminée et, avec elle, la faune et la flore dont se nourrissaient en partie les habitants. La disparition des arbres, comme les palmiers, a provoqué l’érosion des sols, et donc un effondrement de la production alimentaire, puis des famines qui ont décimé la population. De nombreux actes de cannibalisme ont été rapportés. Et l’une des causes de cette destruction insensée de l’environnement, ce sont précisément les statues ! » En effet, les cent treize moaï de tuf érigées sur des terrasses empierrées (ahu) avaient certes une valeur religieuse, mais elles représentaient aussi des symboles de richesse exhibés par les chefs de clan[2]. Et pour les déplacer (la plus haute mesure dix mètres de haut et pèse soixante-quinze tonnes), les Pascuans utilisaient des traineaux en bois, tirés avec des cordes de bois sur des rails constitués de rondins de bois.
« La tragédie de l’île de Pâques est une métaphore du sort funeste qui nous attend, avait conclu Jared Diamond, car tout indique que nous sommes en train de perpétrer le plus grand écocide de l’histoire de l’humanité. Grâce à la mondialisation, le commerce international, le trafic aérien et Internet, les pays partagent aujourd’hui les mêmes ressources et peuvent s’affecter mutuellement, comme autrefois les nombreux clans de l’île. Quand les difficultés sont devenues sérieuses, les habitants de Pâques n’avaient aucun endroit pour fuir ni personne pour les aider, de même que les Terriens n’auront aucun refuge quand le réchauffement climatique rendra la planète invivable. Sachez, cependant, que nous avons encore un tout petit peu de temps pour éviter ce scénario catastrophe, si nous sommes capables de tirer les leçons des civilisations qui ont su échapper à l’effondrement. »
[1] Les Mayas occupaient un territoire qui comprenait le sud du Mexique et les territoires actuels du Belize, du Guatemala, du Salvador et du Honduras.
[2] L’ensemble archéologique de l’île de Pâques compte 887 moaï, dont la plupart n’ont pas été achevées et ont été retrouvées dans les carrières de tuf et de basalte ; de même, sur les trois cents ahu, seuls cent treize comportent une statue.
Demain: comment certaines civilisations ont pu éviter l’effondrement…