Les 100 photos du siècle: Che Guevara, 7/100

 

C’est l’une des photos les plus reproduites au monde, et aussi l’une des plus grandes arnaques de l’histoire de la photographie: le cliché n’a pas rapporté un centime à son auteur, Alberto Korda, que j’ai interviewé à Cuba, deux ans avant sa mort. A cette époque, je réalisais un documentaire, intitulé Mon père, le Che », avec Ernestico, le dernier fils du révolutionnaire argentin (que je mettrai prochainement en ligne).

 

Les 100 photos du siècle: Gandhi 6/100

 

Au moment où la désobéissance civile est stigmatisée, voire criminalisée, je présente la vidéo que j’avais consacrée à la photo la plus célèbre de Gandhi, prise par Margarethe Bourke-White en 1946 . Je rappelle que le concept de désobéissance civile a été forgé au XIXe siècle par le philosophe américain Henry David Thoreau (dans son essai Désobéissance civile, publiée en 1849), et qu’il repose sur des actions non violentes et la résistance passive, ayant inspiré dans l’histoire de nombreux militant·es, comme Martin Luther King, Mandela ou le leader charismatique indien, qui est parvenu à mettre fin à près de deux siècles de colonialisme britannique dans le sous-continent. En France, le Manifeste dit des  » salopes », paru dans Le Nouvel Observateur le 5 avril 1971, où 343 femmes déclaraient avoir avorté, alors que l’IVG était interdite et réprimée, constituait aussi un acte de désobéissance civile. Finalement, grâce notamment à cet acte courageux,  l’avortement sera  légalisé par la loi Veil deux ans plus tard. En fait, l’histoire regorge d’exemples, où des actions considérées comme illégales à un moment donné, étaient finalement légitimes, car la loi qu’elles étaient censées enfreindre était obsolète ou inadaptée. Le but des adeptes de la désobéissance civile est de promouvoir une modification de la loi afin de  faire coïncider la légitimité historique  avec la légalité circonstancielle.

Je rappelle, enfin, que la Cour européenne des droits de l’homme a affirmé à plusieurs reprises que la désobéissance civile  constitue l’un des aspects les plus importants de la liberté d’expression .

Les 100 photos du siècle: l’araignée d’amour 5/100

 

Quand j’ai interviewé Henri Cartier-Bresson (1908-2004) en 1998, il venait de célébrer ses 90 ans. Le rendez-vous n’avait pas été facile à obtenir, car le photographe mythique du XXème siècle détestait commenter ses photos, ainsi que me l’avait expliqué son assistante. Finalement le maître du « tir photographique » a accepté, à condition de sélectionner lui-même le cliché qui allait le représenter dans la série des « 100 photos du siècle ». Il a choisi « l’araignée d’amour ». Une belle illustration de ce qu’il appelait « l’instant décisif »…

Les 100 photos du siècle: Tomoko dans son bain 4/100

 

Entrée dans l’histoire comme la « catastrophe de Minamata », c’est l’une des plus grandes pollutions chimiques du XXème siècle.  Dans les années 1950, un mal inconnu frappe les familles de pêcheurs de cette baie japonaise, où explosent les malformations congénitales. En cause: le mercure rejeté dans la mer par l’usine pétrochimique de Chisso.  Au début des années 1970, le photographe Eugene Smith et son épouse Aileen décident de s’installer pendant deux ans à Minamata pour documenter ce drame ignoré par les autorités publiques.  Il faudra vingt-cinq ans de lutte acharnée pour que la population obtienne la condamnation des pollueurs. Cette vidéo est un hommage à un photographe qui « communiquait avec le coeur » et qui, pour la première fois, a su donner un visage à la pollution industrielle.

Les 100 photos du siècle: Hitler 3/100

En parcourant la liste des « 100 photos du siècle », mon regard s’est arrêté sur celle que j’avais consacrée à Hitler, l’un des plus grands criminels du XXème siècle. En ces temps terribles de poussée de l’Extrême droite partout dans le monde, – au Brésil, en Italie, Suède, France, Etats-Unis, etc- n’oublions jamais que le « Führer » est arrivé au pouvoir par les urnes, en s’appuyant sur la propagande véhiculée notamment par les images…

 

 

Les 100 photos du siècle: « Tchernobyl » 2/100

Au moment où la guerre en Ukraine fait rage et que le dictateur Poutine laisse planer la menace d’une catastrophe nucléaire, je mets en ligne la vidéo que j’ai filmée en 1998 à Tchernobyl avec le  photographe Igor Kostine. Ce reporter exceptionnel, qui travaillait alors pour l’agence de presse soviétique Novosti, fut le premier à documenter l’incendie du réacteur ukrainien qu’il survola en hélicoptère pendant la nuit du 26 avril 1986. Il photographia également le travail périlleux (et bien souvent mortel) des dizaines de milliers de « liquidateurs », ces ouvriers réquisitionnés pour recouvrir d’une pelle de béton le réacteur en fusion. Quand je l’ai rencontré, il continuait de témoigner des dégâts provoqués par la contamination radioactive sur les humains et les animaux.

Depuis ce voyage à Tchernobyl, j’ai compris que ceux qui promeuvent l’énergie nucléaire, comme l’une des solutions pour résoudre le dérèglement climatique,  sont ni plus ni moins que des Frankenstein irresponsables qui gaspillent l’argent public et hypothèquent l’avenir des générations futures.

 

 

Les 100 photos du siècle: « Brûlés au napalm »

De 1997 à 1999, j’ai réalisé « Les 100 photos du siècle« , une série de 100 modules de 6’30 diffusée sur ARTE , puis sur une cinquantaine de télévisions internationales. Je travaillais alors à l’agence CAPA, où je dirigeais une équipe d’une dizaine de personnes, sans lesquelles cette série n’aurait pu voir le jour.  « Les 100 photos du siècle » c’est aussi un livre publié par les Éditions du Chêne et traduit en sept langues.

Voici ce que j’ai écrit dans la préface du livre:

« Tout commence (toujours) par une rencontre. Réelle ou imaginaire. C’était en 1989, lors d’un reportage à Cuba. Un ami me raconte que Kim Phuc, la petite fille qui court sur une route vietnamienne, la peau dévorée par un jet de napalm, étudie à La Havane. Émotion. Qui n’a pas frémi devant cette image bouleversante qui reste à jamais l’un des plus puissants symboles de la guerre du Vietnam ? L’envie de rencontrer Kim Phuc est à l’origine des Cent photos du siècle. L’idée: raconter l’histoire du XXème siècle  à travers celle des grandes photos qui l’ont incarnée, en retrouvant, aux quatre coins du monde, leurs personnages et auteurs, ou leurs descendants. Un formidable voyage dans l’espace et le temps, sur les traces de la mémoire, intime ou collective.
 La sélection des photos repose sur cinq critères: la notoriété internationale du document; son caractère emblématique au regard de l’Histoire; son importance pour l’histoire du photojournalisme ou, parfois, de la photographie en général; l’opportunité de rencontrer ses héros, bien souvent anonymes, et ses auteurs, ou leurs proches; enfin, l’existence d’une « anecdote » qui a présidé à la naissance de l’ icône. Au-delà de cette grille objective, reste une part de subjectivité revendiquée: certaines photos ont été sélectionnées sur simples coups de coeur ou hauts le coeur, ou parce qu’elles me semblaient représenter une pièce signifiante dans ce vaste puzzle que dessine le processus de fabrication de la mémoire illustrée du siècle. D’aucuns invoqueront des oublis ou des choix surprenants. s’il fallait les justifier, je dirais qu’ils ont été tissés par un seul et même fil d’Ariane: la volonté de rendre hommage aux hommes et aux femmes qui, parfois au péril de leur vie, ont capté une une parcelle de notre Histoire, un appareil photo à la main. En ces temps de remise en cause du métier de photojournaliste, c’était un vrai parti pris ».
Voici donc l’histoire de Kim Phuc, photographiée par Nick Ut, que j’ai rencontrés respectivement à Toronto et Los Angeles.

On les appelait « les petites dames du planning »

Le 24 juin, la très conservatrice Cour suprême des Etats-Unis enterrait l’arrêt Roe vs Wade qui, depuis 1973, garantissait le droit des Américaines à avorter. Ce volte-face  ne rend certes pas les interruptions de grossesse illégales, mais elle les rend beaucoup plus difficiles, car désormais  chaque État sera libre d’autoriser l’avortement ou non. Un vrai casse-tête pour les citoyennes d’Outre-Atlantique, qui va renforcer les inégalités en pénalisant les femmes précaires et défavorisées. Cette lamentable affaire confirme que les droits acquis de haute lutte ne sont jamais à l’abri d’un revirement et qu’il ne faut donc pas baisser la garde. En apprenant cette nouvelle, qui je l’espère ne fera pas boule de neige dans d’autres pays, j’ai repensé au film que j’ai réalisé en 2006 pour France 5. Intitulé « On les appelait les petites dames du planning », il relatait l’histoire du Mouvement du Planning familial et la bagarre menée pendant des décennies pour que les femmes aient le droit à la contraception et à l’IVG. Je mets ce film en ligne, car la mémoire doit toujours éclairer le présent et l’avenir…

28′ d’ARTE. Mes réponses aux trois questions d’actualité

 

Hier dans le 26′ d’ARTE, trois questions d’actualité devaient être commentées par Ana Kowalska, correspondante de la télévision polonaise TVN, Zyad Liman, directeur et rédacteur en chef d’Afrique Magazine, et moi-même, en tant qu’ « invitée fil rouge » de l’émission. La veille nous avions reçu les trois questions, avec une série d’articles de différents journaux, pour pouvoir préparer nos interventions. En bonne élève consciencieuse (!) j’avais passé la journée à synthétiser ce que m’inspiraient ces trois sujets.

1 > Visite de Macron, Scholz, et Dragui à Kiev
Soutien politique, soutien militaire : La France en fait-elle assez pour l’Ukraine ?

Est-ce que Macron en fait assez pour l’Ukraine ? Je voudrais ramener cette question aux grands enjeux auxquels est confrontée l’humanité : le dérèglement climatique, l’extinction de la biodiversité et le risque de pandémies qui est lié aux deux premiers. Bien sûr qu’il faut soutenir les Ukrainiens, y compris par des moyens militaires, même s’il me coûte de faire la pub  des marchands d’armes.     C’est l’urgence du court terme. Mais cette guerre atroce devrait aussi être l’occasion pour la France et l’Union européenne de revoir complètement leur politique agricole et énergétique. Si Poutine, dont les agissements criminels sont connus de longue date, s’est lancée dans cette aventure, c’est parce qu’il savait qu’il avait deux énormes moyens de pression : notre dépendance au gaz russe, qui sert notamment à faire des engrais chimiques, et sa position dominante sur le marché du blé, puisque que la Russie assure avec l’Ukraine 30% des exportations mondiales de cette céréale. C’est le moment pour l’UE de lancer un vrai pacte vert : dans le domaine de l’énergie, cela veut dire soutenir massivement les énergies renouvelables et surtout la sobriété, c’est-à-dire la réduction de la consommation ; dans le domaine agricole, cela veut dire sortir progressivement du modèle agroindustriel, très gros producteur de CO2 (10% des émissions de l’UE), fondé sur l’exportation de denrées agricoles, et notamment de céréales.

Récemment 500 scientifiques, sous l’égide du PIK, un organisme de recherche allemand spécialisé sur le climat ,  ont publié un appel pour  une transformation du modèle alimentaire.  Ils rappellent – à juste titre – qu’il n’y a pas actuellement de pénurie d’aliments, mais une répartition inégale des aliments produits, notamment parce que les politiques libérales autorisent la spéculation sur les denrées alimentaires. C’est la spéculation qui affame les peuples, pas le manque d’aliments ! Ils préconisent trois mesures capitales : baisser notre consommation de viande, pour réduire la part des céréales produites destinées à l’alimentation animale (en France 47% du blé et 33% du maïs) ; réduire le gaspillage (celui-ci représente pour le seul blé en Europe  la moitié des exportation ukrainiennes); Et bien sûr,   encourager l’agroécologie qui est la seule capable d’assurer la souveraineté  alimentaire des peuples (c’est-à-dire la capacité des peuples à se nourrir eux-mêmes), mais aussi d’atteindre les objectifs de l’accord de Paris.

Au lieu de cela, Macron et l’UE appellent à renforcer le « rôle nourricier » de l’Europe, en accélérant le modèle productiviste et exportateur…

2 > Le vol Londres-Kigali de transfert des réfugiés au Rwanda entravé par la justice. La politique de Bojo peut-elle vraiment dissuader les candidats à l’exil d’aller au RU ?

Je vais procéder de la même manière que pour la première question. On assiste à une multiplication des crises liées au système productiviste dominant qui est la cause majeure du dérèglement climatique, lequel provoque pénurie d’eau et baisse de la production alimentaire à cause des aléas de plus en plus fréquents.  Le système productiviste  est aussi à l’origine de l’explosion des inégalités et de l’accaparement des richesses par une petite minorité, et des guerres pour le contrôle des ressources qui se raréfient : tout cela pousse des millions d’hommes et de femmes sur le chemin de l’exil. Que font les grandes nations occidentales ? Elles ferment les yeux sur ces causes et, pire, elles encouragent le détricotage du droit international, patiemment élaboré au cours du XXème siècle. Boris Johnson n’exclut pas d’ abandonner la Convention européenne des droits de l’Homme, que le pays a contribué à façonner en 1950. L’Union européenne aussi s’asseoit sur la convention de Genève relative au statut des réfugiés en sous-traitant contre de l’argent la gestion des migrants à la Lybie et la Turquie, deux pays qui pratiquent la torture.

Ce détricotage se fait par petites touches, mais sape progressivement les bases du multilatéralisme et conduit au retour généralisé de la loi de la jungle. Il faut du courage politique pour lutter contre ces dérives! L’Europe devrait montrer l’exemple, en réaffirmant les valeurs qui ont présidé à sa fondation, comme le respect inconditionnel des droits humains. Au lieu de cela : La DG du Commerce de l’UE, dirigée par le conservateur Valdis Dombrovskis, hésite à interdire l’importation de produits issus du travail forcé des Ouïghours en Chine, comme le font les USA et le Canada, au nom de la « liberté du commerce ». Il ne faut pas s’étonner ensuite qu’il y a une défiance par rapport aux objectifs réels de l’Union européenne.

Quant aux migrants, je suis d’accord avec le Transnational Institute qui dit qu’on ne pourra pas les retenir, car « ils partent pour survivre ». Encore une fois : attaquons nous aux causes, pour éviter que des millions de personnes prennent la route de l’exil.

3 > Enquête parlementaire sur l’assaut du Capitole : Trump fustige une parodie de justice . USA : Le trumpisme est-il vraiment mort ?
Trump, armes, médias : Les Etats plus désunis que jamais ?

Ce qui s’est passé au Capitole le 6 janvier 2001 est clairement une dérive majeure – la commission parle de « tentative de coup d’Etat- qui n’a pas été sanctionnée. Et ne le sera sans doute jamais. S’il y avait eu un événement similaire en Amérique Latine, il y aurait eu une condamnation immédiate par les chancelleries occidentales… Mais s’agissant de la première puissance économique mondiale, ce fut le silence radio.

Il faut se rendre à l’évidence : les Etats-Unis s’éloignent de plus en plus du modèle démocratique qu’ils ont longtemps incarné : effritement  des contre-pouvoirs et une polarisation telle de la société qu’une guerre civile ne peut pas être exclue. En fait, l’effondrement démocratique des Etats Unis a commencé avec Ronald Reagan au début des années 1980 , le champion de l’ultralibéralisme qui a finalement confié les rênes du pays aux multinationales et grands groupes financiers. C’est très inquiétant car ce sont eux qui contribuent au dérèglement climatique, à l’extinction de la biodiversité et au risque de pandémies, en niant systématiquement l’impact de leurs activités sur l’environnement.

Nous sommes à la croisée des chemins : soit on laisse les ressources s’épuiser, (biodiversité, mais aussi les minerais, etc),  le climat se dérégler, et les inégalités s’envoler, et le résultat sera une multiplication des conflits armés et internes aux nations. Avec une tendance au repli sur soi,  et l’érosion des droits humains. Soit on fait preuve de courage politique et on change résolument de cap, avant que la barbarie s’installe durablement sur la planète.

 

 

 

 

 

Les maladies chroniques et les maladies infectieuses sont interconnectées

Pour mon livre La fabrique des pandémies, j’ai interviewé 62 scientifiques internationaux, – des virologues, infectiologues, parasitologues, épidémiologistes, écologistes de la santé, médecins, vétérinaires, etc- qui tous « savaient » qu’une pandémie  pouvait à tout moment s’abattre sur l’humanité, s’ajoutant à la longue liste des « maladies infectieuses émergentes », apparues depuis une cinquantaine d’années. Ils « savaient » et n’ont cessé de tirer la sonnette d’alarme, en pointant la destruction de la diversité comme la cause principale de ces « émergences »,  sans être écoutés. Je retranscris ici l’entretien que j’ai réalisé avec le professeur Jeroen Douwes, épidémiologiste en Nouvelle Zélande, qui explique pourquoi nous ne sortirons pas de l’impasse , dans laquelle nous a plongés la COVID 19, si nous continuons d’oublier que « les maladies chroniques et les maladies infectieuses sont interconnectées ». Cet extrait fait partie du cinquième chapitre de mon livre, intitulé « Les maladies non transmissibles: l’hypothèse de la biodiversité ».

L’entretien avec le Prof. Douwes a été réalisé le 25 juin 2020, par skype.

« La perte de biodiversité est une arme à double tranchant : d’un côté, elle favorise le contact avec des agents pathogènes que l’homme n’avait jusque-là jamais rencontrés ; de l’autre, elle rend les humains plus susceptibles d’être affectés profondément par ces nouveaux microorganismes infectieux. En résumé, la destruction de la biodiversité signifie plus d’exposition et plus de fragilité. » C’est ce que m’a expliqué, le 25 juin 2020, le professeur Jeroen Douwes, qui, à cinquante-trois ans, dirige le Centre de recherche en santé publique de l’Université Massey, à Wellington. Et l’épidémiologiste, qui fait aussi partie du comité scientifique de l’agence de protection de l’environnement de Nouvelle-Zélande, d’enfoncer le clou, avec une franchise étonnante : « Les gouvernements dépensent d’énormes quantités d’argent pour tenter de sauver l’économie et de réduire les effets néfastes de la covid-19 en développant un vaccin. Tout cela est tout à fait légitime, mais j’aimerais bien qu’ils fassent de même pour juguler ces tueurs silencieux que sont les maladies chroniques non transmissibles, comme l’obésité, le diabète, les maladies respiratoires et les cancers. On a un peu tendance à oublier que ces pathologies chroniques tuent beaucoup plus de monde que la covid-19. C’est ma première observation. La seconde, c’est que les patients qui ont souffert de complications graves après leur infection par le SARS-CoV-2 développent fréquemment des pathologies chroniques, comme celles que j’ai précédemment énumérées. Il est donc impératif que les autorités publiques cessent de traiter séparément les deux types de pandémies, car elles sont intimement liées. Je rappelle que le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), qui dépend de l’OMS, a identifié plus de trente agents infectieux provoquant des cancers. La séparation entre les maladies infectieuses et les maladies chroniques est artificielle et va contre les intérêts de la santé publique. »

Pour être franche, la « tirade » tout à fait inattendue de Jeroen Douwes m’a fait du bien, car finalement, elle confirmait une intuition qui était devenue obsédante au fur et à mesure que se déroulaient mes entretiens très rapprochés – parfois trois par jour – avec les quelque soixante scientifiques que j’ai interviewés pour ce livre : la pandémie de covid-19 est un signal d’alarme, qui va bien au-delà de l’émergence d’un virus excrété par une pauvre chauve-souris, dans des conditions qui ne sont toujours pas élucidées…

Jeroen Douwes a fait son doctorat d’épidémiologie en Hollande, où il est né. En 1998, il est venu pour faire une spécialisation en santé environnementale en Nouvelle-Zélande, qui devait durer un an et demi, mais il y est finalement resté.

« Quel est le bilan de la pandémie en Nouvelle-Zélande ?

– Au 25 juin, nous avons 1 200 cas diagnostiqués et vingt-deux morts, ce qui est très peu pour une population de 5 millions d’habitants. Dès que l’épidémie a été confirmée en Chine, le gouvernement a fermé les frontières et décrété un confinement très strict. Après huit semaines, la vie a repris son cours normal, mais les frontières sont toujours fermées. Seules les personnes de nationalité néo-zélandaise ou résidant légalement dans le pays peuvent y entrer. Cette mesure est évidemment facilitée par l’insularité du pays.

– Pensez-vous qu’on aurait pu éviter cette pandémie ?

– Soyons clairs : le problème, ce ne sont pas les marchés humides chinois, qui sont anecdotiques. Cette pandémie n’est pas la dernière. Si nous ne revoyons pas de toute urgence notre rapport à la nature, nous vivrons dans une ère de confinement chronique, ce qui n’est évidemment pas une bonne nouvelle pour l’humanité. Par ailleurs, il n’est pas sûr que ce soit judicieux d’encourager la reprise frénétique des voyages et des transports d’un bout à l’autre de la planète. Les virus se déplacent aussi vite que les longs courriers et je dois dire que la vitesse de transmission du SARS-CoV-2 m’a impressionné.

– Vous avez conduit une étude exceptionnelle sur l’“association entre l’environnement naturel et l’asthme” en Nouvelle-Zélande, publiée en 2018[i]. Comment avez-vous procédé ?

– C’est vrai que cette étude est unique, car nous avons pu suivre près de 50 000 enfants nés en 1998 jusqu’en 2016, c’est-à-dire pendant dix-huit ans. Il est rare de pouvoir travailler sur une cohorte aussi importante et sur une durée aussi longue. Le gouvernement nous a autorisés à consulter les données d’état civil et sanitaires de tout le pays. Nous avions les adresses des 50 000 bébés, y compris quand leurs familles ont déménagé. Nous avons pu les croiser avec les images satellites, qui nous ont renseignés sur le type d’usage des terres et de végétation qui caractérisait le cadre de vie des enfants. La conclusion fut que le fait de vivre près d’un espace vert réduisait le risque asthmatique d’au moins 15 %, mais que l’intensité de la protection dépendait de la qualité de la végétation. La Nouvelle-Zélande compte d’importantes plantations de pins de Monterey qui constituent des facteurs de risque pour l’asthme. Même chose pour les ajoncs, qui donnent certes de belles fleurs jaunes, mais qui sont très épineux et allergènes. Pour que la protection soit efficace, il faut une végétation diverse et native de l’île.

« À partir de cette cohorte de bébés nés en 1998, nous avons réalisé une deuxième étude sur le lien entre l’exposition précoce à un environnement naturel et le « trouble de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité » (TDAH)[ii]. Les résultats ont montré une réduction significative du risque pour les enfants qui ont grandi dans une aire rurale avec une riche biodiversité. Enfin – et là c’était encore plus surprenant –, pour une troisième étude qui est en cours de validation avant publication, nous avons suivi les 50 000 enfants depuis leur naissance jusqu’à l’âge de cinq ans[iii]. Nous avons observé que le fait de grandir dans un environnement naturel diversifié réduisait le risque de leucémie aiguë lymphoblastique de 35 %. L’un des facteurs souvent méconnus qui peut expliquer ce résultat est que les plantes à larges feuilles capturent une grande partie de la pollution de l’air. Enfin, dans un domaine qui ne concerne pas exclusivement les enfants, nous avons montré que les patients qui subissent une arthroplastie de la hanche récupèrent mieux et plus vite, en consommant nettement moins d’opiacés, s’ils vivent dans un environnement riche en biodiversité naturelle[iv].

« Les résultats de mon laboratoire sont en accord avec des centaines d’études réalisées par mes confrères partout dans le monde. Et nous disons tous la même chose : il est temps que les pouvoirs publics comprennent que la santé humaine dépend de celle des écosystèmes et des animaux, car tout est interconnecté. Il est temps aussi qu’ils agissent pour stopper la destruction de la biodiversité et le dérèglement du climat, dont les effets synergiques sont d’ores et déjà désastreux pour la santé publique. »

[i] Geoffrey Donavan et al., « Vegetation diversity protects against childhood asthma : results from a large New Zealand birth cohort », Nature Plants, vol. 4, juin 2018, p. 358-364.

[ii] Geoffrey Donavan et al., « Association between exposure to the natural environment, rurality, and attention-deficit hyperactivity disorder in children in New Zealand : a linkage study », The Lancet Planetary Health, vol. 3, n° 5, mai 2019.

[iii] Geoffrey Donovan et al., « An empirical test of the biodiversity hypothesis : exposure to plant diversity is associated with a reduced risk of childhood acute lymphoblastic leukemia », Social Science Research Network, janvier 2020.

[iv] Geoffrey Donavan et al., « Relationship between exposure to the natural environment and recovery from hip or knee arthroplasty : a New Zealand retrospective cohort study », British Medical Journal Open, vol. 9, 2019.