Les 100 photos du siècle: Hitler 3/100

En parcourant la liste des « 100 photos du siècle », mon regard s’est arrêté sur celle que j’avais consacrée à Hitler, l’un des plus grands criminels du XXème siècle. En ces temps terribles de poussée de l’Extrême droite partout dans le monde, – au Brésil, en Italie, Suède, France, Etats-Unis, etc- n’oublions jamais que le « Führer » est arrivé au pouvoir par les urnes, en s’appuyant sur la propagande véhiculée notamment par les images…

 

 

Les 100 photos du siècle: « Tchernobyl » 2/100

Au moment où la guerre en Ukraine fait rage et que le dictateur Poutine laisse planer la menace d’une catastrophe nucléaire, je mets en ligne la vidéo que j’ai filmée en 1998 à Tchernobyl avec le  photographe Igor Kostine. Ce reporter exceptionnel, qui travaillait alors pour l’agence de presse soviétique Novosti, fut le premier à documenter l’incendie du réacteur ukrainien qu’il survola en hélicoptère pendant la nuit du 26 avril 1986. Il photographia également le travail périlleux (et bien souvent mortel) des dizaines de milliers de « liquidateurs », ces ouvriers réquisitionnés pour recouvrir d’une pelle de béton le réacteur en fusion. Quand je l’ai rencontré, il continuait de témoigner des dégâts provoqués par la contamination radioactive sur les humains et les animaux.

Depuis ce voyage à Tchernobyl, j’ai compris que ceux qui promeuvent l’énergie nucléaire, comme l’une des solutions pour résoudre le dérèglement climatique,  sont ni plus ni moins que des Frankenstein irresponsables qui gaspillent l’argent public et hypothèquent l’avenir des générations futures.

 

 

Les 100 photos du siècle: « Brûlés au napalm »

De 1997 à 1999, j’ai réalisé « Les 100 photos du siècle« , une série de 100 modules de 6’30 diffusée sur ARTE , puis sur une cinquantaine de télévisions internationales. Je travaillais alors à l’agence CAPA, où je dirigeais une équipe d’une dizaine de personnes, sans lesquelles cette série n’aurait pu voir le jour.  « Les 100 photos du siècle » c’est aussi un livre publié par les Éditions du Chêne et traduit en sept langues.

Voici ce que j’ai écrit dans la préface du livre:

« Tout commence (toujours) par une rencontre. Réelle ou imaginaire. C’était en 1989, lors d’un reportage à Cuba. Un ami me raconte que Kim Phuc, la petite fille qui court sur une route vietnamienne, la peau dévorée par un jet de napalm, étudie à La Havane. Émotion. Qui n’a pas frémi devant cette image bouleversante qui reste à jamais l’un des plus puissants symboles de la guerre du Vietnam ? L’envie de rencontrer Kim Phuc est à l’origine des Cent photos du siècle. L’idée: raconter l’histoire du XXème siècle  à travers celle des grandes photos qui l’ont incarnée, en retrouvant, aux quatre coins du monde, leurs personnages et auteurs, ou leurs descendants. Un formidable voyage dans l’espace et le temps, sur les traces de la mémoire, intime ou collective.
 La sélection des photos repose sur cinq critères: la notoriété internationale du document; son caractère emblématique au regard de l’Histoire; son importance pour l’histoire du photojournalisme ou, parfois, de la photographie en général; l’opportunité de rencontrer ses héros, bien souvent anonymes, et ses auteurs, ou leurs proches; enfin, l’existence d’une « anecdote » qui a présidé à la naissance de l’ icône. Au-delà de cette grille objective, reste une part de subjectivité revendiquée: certaines photos ont été sélectionnées sur simples coups de coeur ou hauts le coeur, ou parce qu’elles me semblaient représenter une pièce signifiante dans ce vaste puzzle que dessine le processus de fabrication de la mémoire illustrée du siècle. D’aucuns invoqueront des oublis ou des choix surprenants. s’il fallait les justifier, je dirais qu’ils ont été tissés par un seul et même fil d’Ariane: la volonté de rendre hommage aux hommes et aux femmes qui, parfois au péril de leur vie, ont capté une une parcelle de notre Histoire, un appareil photo à la main. En ces temps de remise en cause du métier de photojournaliste, c’était un vrai parti pris ».
Voici donc l’histoire de Kim Phuc, photographiée par Nick Ut, que j’ai rencontrés respectivement à Toronto et Los Angeles.

On les appelait « les petites dames du planning »

Le 24 juin, la très conservatrice Cour suprême des Etats-Unis enterrait l’arrêt Roe vs Wade qui, depuis 1973, garantissait le droit des Américaines à avorter. Ce volte-face  ne rend certes pas les interruptions de grossesse illégales, mais elle les rend beaucoup plus difficiles, car désormais  chaque État sera libre d’autoriser l’avortement ou non. Un vrai casse-tête pour les citoyennes d’Outre-Atlantique, qui va renforcer les inégalités en pénalisant les femmes précaires et défavorisées. Cette lamentable affaire confirme que les droits acquis de haute lutte ne sont jamais à l’abri d’un revirement et qu’il ne faut donc pas baisser la garde. En apprenant cette nouvelle, qui je l’espère ne fera pas boule de neige dans d’autres pays, j’ai repensé au film que j’ai réalisé en 2006 pour France 5. Intitulé « On les appelait les petites dames du planning », il relatait l’histoire du Mouvement du Planning familial et la bagarre menée pendant des décennies pour que les femmes aient le droit à la contraception et à l’IVG. Je mets ce film en ligne, car la mémoire doit toujours éclairer le présent et l’avenir…

28′ d’ARTE. Mes réponses aux trois questions d’actualité

 

Hier dans le 26′ d’ARTE, trois questions d’actualité devaient être commentées par Ana Kowalska, correspondante de la télévision polonaise TVN, Zyad Liman, directeur et rédacteur en chef d’Afrique Magazine, et moi-même, en tant qu’ « invitée fil rouge » de l’émission. La veille nous avions reçu les trois questions, avec une série d’articles de différents journaux, pour pouvoir préparer nos interventions. En bonne élève consciencieuse (!) j’avais passé la journée à synthétiser ce que m’inspiraient ces trois sujets.

1 > Visite de Macron, Scholz, et Dragui à Kiev
Soutien politique, soutien militaire : La France en fait-elle assez pour l’Ukraine ?

Est-ce que Macron en fait assez pour l’Ukraine ? Je voudrais ramener cette question aux grands enjeux auxquels est confrontée l’humanité : le dérèglement climatique, l’extinction de la biodiversité et le risque de pandémies qui est lié aux deux premiers. Bien sûr qu’il faut soutenir les Ukrainiens, y compris par des moyens militaires, même s’il me coûte de faire la pub  des marchands d’armes.     C’est l’urgence du court terme. Mais cette guerre atroce devrait aussi être l’occasion pour la France et l’Union européenne de revoir complètement leur politique agricole et énergétique. Si Poutine, dont les agissements criminels sont connus de longue date, s’est lancée dans cette aventure, c’est parce qu’il savait qu’il avait deux énormes moyens de pression : notre dépendance au gaz russe, qui sert notamment à faire des engrais chimiques, et sa position dominante sur le marché du blé, puisque que la Russie assure avec l’Ukraine 30% des exportations mondiales de cette céréale. C’est le moment pour l’UE de lancer un vrai pacte vert : dans le domaine de l’énergie, cela veut dire soutenir massivement les énergies renouvelables et surtout la sobriété, c’est-à-dire la réduction de la consommation ; dans le domaine agricole, cela veut dire sortir progressivement du modèle agroindustriel, très gros producteur de CO2 (10% des émissions de l’UE), fondé sur l’exportation de denrées agricoles, et notamment de céréales.

Récemment 500 scientifiques, sous l’égide du PIK, un organisme de recherche allemand spécialisé sur le climat ,  ont publié un appel pour  une transformation du modèle alimentaire.  Ils rappellent – à juste titre – qu’il n’y a pas actuellement de pénurie d’aliments, mais une répartition inégale des aliments produits, notamment parce que les politiques libérales autorisent la spéculation sur les denrées alimentaires. C’est la spéculation qui affame les peuples, pas le manque d’aliments ! Ils préconisent trois mesures capitales : baisser notre consommation de viande, pour réduire la part des céréales produites destinées à l’alimentation animale (en France 47% du blé et 33% du maïs) ; réduire le gaspillage (celui-ci représente pour le seul blé en Europe  la moitié des exportation ukrainiennes); Et bien sûr,   encourager l’agroécologie qui est la seule capable d’assurer la souveraineté  alimentaire des peuples (c’est-à-dire la capacité des peuples à se nourrir eux-mêmes), mais aussi d’atteindre les objectifs de l’accord de Paris.

Au lieu de cela, Macron et l’UE appellent à renforcer le « rôle nourricier » de l’Europe, en accélérant le modèle productiviste et exportateur…

2 > Le vol Londres-Kigali de transfert des réfugiés au Rwanda entravé par la justice. La politique de Bojo peut-elle vraiment dissuader les candidats à l’exil d’aller au RU ?

Je vais procéder de la même manière que pour la première question. On assiste à une multiplication des crises liées au système productiviste dominant qui est la cause majeure du dérèglement climatique, lequel provoque pénurie d’eau et baisse de la production alimentaire à cause des aléas de plus en plus fréquents.  Le système productiviste  est aussi à l’origine de l’explosion des inégalités et de l’accaparement des richesses par une petite minorité, et des guerres pour le contrôle des ressources qui se raréfient : tout cela pousse des millions d’hommes et de femmes sur le chemin de l’exil. Que font les grandes nations occidentales ? Elles ferment les yeux sur ces causes et, pire, elles encouragent le détricotage du droit international, patiemment élaboré au cours du XXème siècle. Boris Johnson n’exclut pas d’ abandonner la Convention européenne des droits de l’Homme, que le pays a contribué à façonner en 1950. L’Union européenne aussi s’asseoit sur la convention de Genève relative au statut des réfugiés en sous-traitant contre de l’argent la gestion des migrants à la Lybie et la Turquie, deux pays qui pratiquent la torture.

Ce détricotage se fait par petites touches, mais sape progressivement les bases du multilatéralisme et conduit au retour généralisé de la loi de la jungle. Il faut du courage politique pour lutter contre ces dérives! L’Europe devrait montrer l’exemple, en réaffirmant les valeurs qui ont présidé à sa fondation, comme le respect inconditionnel des droits humains. Au lieu de cela : La DG du Commerce de l’UE, dirigée par le conservateur Valdis Dombrovskis, hésite à interdire l’importation de produits issus du travail forcé des Ouïghours en Chine, comme le font les USA et le Canada, au nom de la « liberté du commerce ». Il ne faut pas s’étonner ensuite qu’il y a une défiance par rapport aux objectifs réels de l’Union européenne.

Quant aux migrants, je suis d’accord avec le Transnational Institute qui dit qu’on ne pourra pas les retenir, car « ils partent pour survivre ». Encore une fois : attaquons nous aux causes, pour éviter que des millions de personnes prennent la route de l’exil.

3 > Enquête parlementaire sur l’assaut du Capitole : Trump fustige une parodie de justice . USA : Le trumpisme est-il vraiment mort ?
Trump, armes, médias : Les Etats plus désunis que jamais ?

Ce qui s’est passé au Capitole le 6 janvier 2001 est clairement une dérive majeure – la commission parle de « tentative de coup d’Etat- qui n’a pas été sanctionnée. Et ne le sera sans doute jamais. S’il y avait eu un événement similaire en Amérique Latine, il y aurait eu une condamnation immédiate par les chancelleries occidentales… Mais s’agissant de la première puissance économique mondiale, ce fut le silence radio.

Il faut se rendre à l’évidence : les Etats-Unis s’éloignent de plus en plus du modèle démocratique qu’ils ont longtemps incarné : effritement  des contre-pouvoirs et une polarisation telle de la société qu’une guerre civile ne peut pas être exclue. En fait, l’effondrement démocratique des Etats Unis a commencé avec Ronald Reagan au début des années 1980 , le champion de l’ultralibéralisme qui a finalement confié les rênes du pays aux multinationales et grands groupes financiers. C’est très inquiétant car ce sont eux qui contribuent au dérèglement climatique, à l’extinction de la biodiversité et au risque de pandémies, en niant systématiquement l’impact de leurs activités sur l’environnement.

Nous sommes à la croisée des chemins : soit on laisse les ressources s’épuiser, (biodiversité, mais aussi les minerais, etc),  le climat se dérégler, et les inégalités s’envoler, et le résultat sera une multiplication des conflits armés et internes aux nations. Avec une tendance au repli sur soi,  et l’érosion des droits humains. Soit on fait preuve de courage politique et on change résolument de cap, avant que la barbarie s’installe durablement sur la planète.

 

 

 

 

 

Les maladies chroniques et les maladies infectieuses sont interconnectées

Pour mon livre La fabrique des pandémies, j’ai interviewé 62 scientifiques internationaux, – des virologues, infectiologues, parasitologues, épidémiologistes, écologistes de la santé, médecins, vétérinaires, etc- qui tous « savaient » qu’une pandémie  pouvait à tout moment s’abattre sur l’humanité, s’ajoutant à la longue liste des « maladies infectieuses émergentes », apparues depuis une cinquantaine d’années. Ils « savaient » et n’ont cessé de tirer la sonnette d’alarme, en pointant la destruction de la diversité comme la cause principale de ces « émergences »,  sans être écoutés. Je retranscris ici l’entretien que j’ai réalisé avec le professeur Jeroen Douwes, épidémiologiste en Nouvelle Zélande, qui explique pourquoi nous ne sortirons pas de l’impasse , dans laquelle nous a plongés la COVID 19, si nous continuons d’oublier que « les maladies chroniques et les maladies infectieuses sont interconnectées ». Cet extrait fait partie du cinquième chapitre de mon livre, intitulé « Les maladies non transmissibles: l’hypothèse de la biodiversité ».

L’entretien avec le Prof. Douwes a été réalisé le 25 juin 2020, par skype.

« La perte de biodiversité est une arme à double tranchant : d’un côté, elle favorise le contact avec des agents pathogènes que l’homme n’avait jusque-là jamais rencontrés ; de l’autre, elle rend les humains plus susceptibles d’être affectés profondément par ces nouveaux microorganismes infectieux. En résumé, la destruction de la biodiversité signifie plus d’exposition et plus de fragilité. » C’est ce que m’a expliqué, le 25 juin 2020, le professeur Jeroen Douwes, qui, à cinquante-trois ans, dirige le Centre de recherche en santé publique de l’Université Massey, à Wellington. Et l’épidémiologiste, qui fait aussi partie du comité scientifique de l’agence de protection de l’environnement de Nouvelle-Zélande, d’enfoncer le clou, avec une franchise étonnante : « Les gouvernements dépensent d’énormes quantités d’argent pour tenter de sauver l’économie et de réduire les effets néfastes de la covid-19 en développant un vaccin. Tout cela est tout à fait légitime, mais j’aimerais bien qu’ils fassent de même pour juguler ces tueurs silencieux que sont les maladies chroniques non transmissibles, comme l’obésité, le diabète, les maladies respiratoires et les cancers. On a un peu tendance à oublier que ces pathologies chroniques tuent beaucoup plus de monde que la covid-19. C’est ma première observation. La seconde, c’est que les patients qui ont souffert de complications graves après leur infection par le SARS-CoV-2 développent fréquemment des pathologies chroniques, comme celles que j’ai précédemment énumérées. Il est donc impératif que les autorités publiques cessent de traiter séparément les deux types de pandémies, car elles sont intimement liées. Je rappelle que le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), qui dépend de l’OMS, a identifié plus de trente agents infectieux provoquant des cancers. La séparation entre les maladies infectieuses et les maladies chroniques est artificielle et va contre les intérêts de la santé publique. »

Pour être franche, la « tirade » tout à fait inattendue de Jeroen Douwes m’a fait du bien, car finalement, elle confirmait une intuition qui était devenue obsédante au fur et à mesure que se déroulaient mes entretiens très rapprochés – parfois trois par jour – avec les quelque soixante scientifiques que j’ai interviewés pour ce livre : la pandémie de covid-19 est un signal d’alarme, qui va bien au-delà de l’émergence d’un virus excrété par une pauvre chauve-souris, dans des conditions qui ne sont toujours pas élucidées…

Jeroen Douwes a fait son doctorat d’épidémiologie en Hollande, où il est né. En 1998, il est venu pour faire une spécialisation en santé environnementale en Nouvelle-Zélande, qui devait durer un an et demi, mais il y est finalement resté.

« Quel est le bilan de la pandémie en Nouvelle-Zélande ?

– Au 25 juin, nous avons 1 200 cas diagnostiqués et vingt-deux morts, ce qui est très peu pour une population de 5 millions d’habitants. Dès que l’épidémie a été confirmée en Chine, le gouvernement a fermé les frontières et décrété un confinement très strict. Après huit semaines, la vie a repris son cours normal, mais les frontières sont toujours fermées. Seules les personnes de nationalité néo-zélandaise ou résidant légalement dans le pays peuvent y entrer. Cette mesure est évidemment facilitée par l’insularité du pays.

– Pensez-vous qu’on aurait pu éviter cette pandémie ?

– Soyons clairs : le problème, ce ne sont pas les marchés humides chinois, qui sont anecdotiques. Cette pandémie n’est pas la dernière. Si nous ne revoyons pas de toute urgence notre rapport à la nature, nous vivrons dans une ère de confinement chronique, ce qui n’est évidemment pas une bonne nouvelle pour l’humanité. Par ailleurs, il n’est pas sûr que ce soit judicieux d’encourager la reprise frénétique des voyages et des transports d’un bout à l’autre de la planète. Les virus se déplacent aussi vite que les longs courriers et je dois dire que la vitesse de transmission du SARS-CoV-2 m’a impressionné.

– Vous avez conduit une étude exceptionnelle sur l’“association entre l’environnement naturel et l’asthme” en Nouvelle-Zélande, publiée en 2018[i]. Comment avez-vous procédé ?

– C’est vrai que cette étude est unique, car nous avons pu suivre près de 50 000 enfants nés en 1998 jusqu’en 2016, c’est-à-dire pendant dix-huit ans. Il est rare de pouvoir travailler sur une cohorte aussi importante et sur une durée aussi longue. Le gouvernement nous a autorisés à consulter les données d’état civil et sanitaires de tout le pays. Nous avions les adresses des 50 000 bébés, y compris quand leurs familles ont déménagé. Nous avons pu les croiser avec les images satellites, qui nous ont renseignés sur le type d’usage des terres et de végétation qui caractérisait le cadre de vie des enfants. La conclusion fut que le fait de vivre près d’un espace vert réduisait le risque asthmatique d’au moins 15 %, mais que l’intensité de la protection dépendait de la qualité de la végétation. La Nouvelle-Zélande compte d’importantes plantations de pins de Monterey qui constituent des facteurs de risque pour l’asthme. Même chose pour les ajoncs, qui donnent certes de belles fleurs jaunes, mais qui sont très épineux et allergènes. Pour que la protection soit efficace, il faut une végétation diverse et native de l’île.

« À partir de cette cohorte de bébés nés en 1998, nous avons réalisé une deuxième étude sur le lien entre l’exposition précoce à un environnement naturel et le « trouble de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité » (TDAH)[ii]. Les résultats ont montré une réduction significative du risque pour les enfants qui ont grandi dans une aire rurale avec une riche biodiversité. Enfin – et là c’était encore plus surprenant –, pour une troisième étude qui est en cours de validation avant publication, nous avons suivi les 50 000 enfants depuis leur naissance jusqu’à l’âge de cinq ans[iii]. Nous avons observé que le fait de grandir dans un environnement naturel diversifié réduisait le risque de leucémie aiguë lymphoblastique de 35 %. L’un des facteurs souvent méconnus qui peut expliquer ce résultat est que les plantes à larges feuilles capturent une grande partie de la pollution de l’air. Enfin, dans un domaine qui ne concerne pas exclusivement les enfants, nous avons montré que les patients qui subissent une arthroplastie de la hanche récupèrent mieux et plus vite, en consommant nettement moins d’opiacés, s’ils vivent dans un environnement riche en biodiversité naturelle[iv].

« Les résultats de mon laboratoire sont en accord avec des centaines d’études réalisées par mes confrères partout dans le monde. Et nous disons tous la même chose : il est temps que les pouvoirs publics comprennent que la santé humaine dépend de celle des écosystèmes et des animaux, car tout est interconnecté. Il est temps aussi qu’ils agissent pour stopper la destruction de la biodiversité et le dérèglement du climat, dont les effets synergiques sont d’ores et déjà désastreux pour la santé publique. »

[i] Geoffrey Donavan et al., « Vegetation diversity protects against childhood asthma : results from a large New Zealand birth cohort », Nature Plants, vol. 4, juin 2018, p. 358-364.

[ii] Geoffrey Donavan et al., « Association between exposure to the natural environment, rurality, and attention-deficit hyperactivity disorder in children in New Zealand : a linkage study », The Lancet Planetary Health, vol. 3, n° 5, mai 2019.

[iii] Geoffrey Donovan et al., « An empirical test of the biodiversity hypothesis : exposure to plant diversity is associated with a reduced risk of childhood acute lymphoblastic leukemia », Social Science Research Network, janvier 2020.

[iv] Geoffrey Donavan et al., « Relationship between exposure to the natural environment and recovery from hip or knee arthroplasty : a New Zealand retrospective cohort study », British Medical Journal Open, vol. 9, 2019.

Mon hommage aux zadistes de Notre Dame des Landes

Merci à tous ceux et celles qui m’ont envoyé un message d’affection après avoir regardé la vidéo en hommage à mes parents. Du coup j’ai eu envie de mettre en ligne l’allocution que j’avais prononcée après le « discours » de Dominique Meda sur mes « 38 ans de service », selon la formule consacrée, car il est plus que jamais d’actualité. Je remercie Dominique d’avoir accepté de me remettre la légion d’honneur à Notre Dame des Landes, car, en 2013, c’était un geste politique et citoyen très fort… Sur le papier, rien ne l’interdisait, car tout récipiendaire peut choisir la personne – impérativement un « chevalier »- et le lieu de la cérémonie…

Hommage à mes parents

Après un long silence douloureux, j’ai décidé de rendre hommage à mes parents – Jeannette et Joël Robin- décédés respectivement le 28 octobre 2020 et le 21 février 2021. Avec mon mari David , je les ai accompagnés pendant trois mois dans la maison familiale des Deux-Sèvres, où j’ai grandi. J’ai souvent dit publiquement combien mes parents m’avaient insufflé le goût de la terre et de l’engagement « pour changer le monde », et aujourd’hui leur inspiration me manque cruellement…. J’ai choisi de rendre publiques ces images tournées par Marc Duployer lors de ma remise de légion d’honneur par la sociologue Dominique Meda, le 8 juin 2013, à Notre Dame des Landes, en plein combat contre la construction de l’aéroport . En montant cette vidéo dans les larmes et le rire, j’ai replongé dans l’émotion de cet événement exceptionnel, que mes parents considéraient comme l’un des plus beaux jours de leur vie. Une belle manière de leur dire « merci » ainsi qu’à tous ceux et celles qui ont permis de faire échouer ce grand projet inutile et ringard. D’autres victoires suivront!

 

Le soutien « inconditionnel » du Prof. Didier Sicard à « la fabrique des pandémies »

La lettre a transité par les Éditions La Découverte et je dois dire qu’elle m’a fait un bien fou. Elle était signée de Didier Sicard, professeur émérite à l’Université Paris-Descartes, ancien chef de service de médecine interne à l’hôpital Cochin, qui a présidé le Comité consultatif national d’éthique de 1999 à 2008. Elle commençait par ces mots: « Bravissimo…Je suis bluffé par votre ouvrage « La fabrique des pandémies ». Je l’ai lu d’un trait avec l’émotion  d’un lecteur qui non seulement partage totalement vos réflexions mais découvre que ses intuitions étaient fondées. L’écriture en est lumineuse, simple, intelligente, tellement plus que la plupart des articles scientifiques souvent pénalisés par leur complexité.C’est un ouvrage fondateur d’une vraie réflexion humaniste et porteur d’un futur aussi passionnant qu’inquiétant. Il devrait susciter des vocations de recherche « .

Je poursuis la transcription de la lettre car sa lecture en ligne n’est pas aisée.

« Depuis quinze ans je préside le jury d’une bourse franco-américaine destinée à des étudiants de psychologie et médecine. J’ai été atterré par le côté « mainstream » des projets scientifiques. Quasiment tous étaient porteurs d’un projet concernant une nouvelle enzyme ou un nouveau gène.

Un projet m’a surpris. Une chercheuse a proposé un travail sur la relation entre le changement climatique et la psychologie des jeunes. A Yale ! Le jury souriait. Je me suis battu. Elle a eu la bourse. Elle vient de m’écrire une lettre m’informant de la richesse au-delà de ses espérances de son travail.

La collaboration de Serge Morand a été essentielle. Mais votre acharnement à interroger les bonnes personnes suscite mon admiration inconditionnelle.

Si tout le monde lisait votre livre, cela sonnerait le glas de l’inconscience, de la stupidité et de l’hubris humain.

Merci et bravo.

Cordialement »

Mon livre « La Fabrique des pandémies » est arrivé!

Mon livre est arrivé! Intitulé « La fabrique des pandémies : préserver la biodiversité, un impératif pour la santé planétaire », il est publié par les éditions La Découverte. Je publie sur mon Blog l’introduction que j’ai rédigée. 

Introduction. Une « épidémie de pandémies »

« Voir un lien entre la pollution de l’air, la biodiversité et le covid-19 relève du surréalisme, pas de la science », a affirmé l’ancien ministre de l’Éducation nationale et de la Recherche Luc Ferry dans L’Express du 30 mars 2020, où il a fustigé les écologistes qui « confondent crise sanitaire et crise environnementale dans un but de récupération politique ». Ce livre entend montrer à quel point l’auteur du pamphlet Le Nouvel Ordre écologique est un philosophe bien mal informé[i][1].

On savait…

Depuis le milieu des années 2000, en effet, des dizaines de scientifiques internationaux tirent la sonnette d’alarme : la pression qu’exercent les activités humaines sur la biodiversité crée les conditions d’une « épidémie de pandémies », pour reprendre les termes de Serge Morand, parasitologue et écologue de la santé qui travaille pour le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) et le CNRS, et qui vit en Thaïlande depuis 2012 – il a écrit les encadrés « pédagogiques » figurant dans cet ouvrage, ce dont je le remercie vivement, ainsi que de son soutien décisif pour l’écriture de ce livre. Le cocktail qui favorise les émergences de maladies infectieuses est bien identifié, documenté et expliqué : la déforestation, pratiquée à large échelle dans les pays du Sud pour implanter des monocultures de soja, qui nourriront les animaux des élevages industriels européens ou de palmiers à huile qui alimenteront les réservoirs de nos voitures ; la fragmentation des forêts tropicales et espaces naturels, causée par le développement du réseau routier, des barrages et exploitations minières, mais aussi par l’urbanisation ; et la globalisation, qui encourage le déplacement de milliards d’humains, d’animaux et de marchandises d’un bout à l’autre de la planète. Toutes ces activités provoquent le dysfonctionnement, voire la destruction, des services écosystémiques, ce qui menace la santé des humains, des animaux et des plantes.

Syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), fièvres hémorragiques de Congo-Crimée et du virus Ébola, fièvre de Lassa, syndrome respiratoire du Moyen-Orient (dû au coronavirus MERS-CoV), Nipah, grippe aviaire H1N1, fièvre de la vallée du Rift, zika, chikungunya et, maintenant, covid-19 : toutes ces maladies sont des « zoonoses », c’est-à-dire qu’elles sont transmises par des animaux aux humains. Elles font partie des « nouvelles maladies émergentes », dont le nombre a littéralement explosé au cours des cinquante dernières années : alors que dans les années 1970, une nouvelle pathologie infectieuse était découverte tous les dix à quinze ans, depuis les années 2000, le rythme s’est considérablement accéléré pour passer à au moins cinq émergences identifiées par an. La pandémie qui paralyse le monde depuis le début 2020 n’est donc que la face émergée de l’iceberg. D’autres pandémies vont suivre : là-dessus, les soixante-deux scientifiques interrogés pour ce livre sont formels. Et c’est pourquoi, de manière unanime, ils affirment que la solution n’est pas de courir après un énième vaccin, censé protéger contre une énième maladie infectieuse, au risque d’entrer dans une ère de confinement chronique de la population mondiale, mais de s’interroger sur la place des humains sur la planète, sur leur lien avec le reste du monde vivant, dont ils ne représentent qu’une espèce parmi d’autres. À l’unisson aussi, ils clament : « On ne peut pas dire qu’on ne savait pas. »

On savait. Sur tous les continents, en effet, des scientifiques de différentes disciplines (infectiologues, parasitologues, écologues, géographes, mathématiciens, démographes, ethnobotanistes, médecins, vétérinaires, etc.) ont montré que le meilleur antidote contre l’émergence de maladies infectieuses est la préservation de la biodiversité. Ils ont identifié les mécanismes à l’œuvre, comme l’« effet dilution » grâce auquel une riche biodiversité locale a un effet régulateur sur la prévalence et la virulence des agents pathogènes, dont l’activité est maintenue à bas bruit dans les écosystèmes équilibrés.

On savait. Mais les politiques font la sourde oreille, en continuant de promouvoir une vision techniciste et anthropocentrée de la santé, qui fait la part belle aux intérêts des multinationales pharmaceutiques et de l’agrobusiness, lesquelles partagent les mêmes actionnaires et fonds de pension, dont les dirigeants sont lobotomisés par la recherche de profits à court terme. Ce grand aveuglement collectif est entretenu par la balkanisation des disciplines scientifiques et des instances ministérielles, qui fonctionnent en « silos », sans aucune connexion entre elles. Les témoins de ce livre déplorent ainsi le manque de vision globale qui seul permettra de sortir de l’« ignorantisme » dénoncé par le sociologue Edgar Morin[ii] et donc de pouvoir agir efficacement contre le retour des pestes. À l’heure des grands défis de l’anthropocène – dérèglement climatique, extinction de la biodiversité, explosion des inégalités –, dont le risque pandémique constitue le dernier avatar, ils préconisent une conception holistique de la santé à l’interface hommes-animaux-écosystèmes, telle que proposée par les promoteurs de One Health (Une seule santé) ou de Planetary Health (La santé planétaire).

On savait. Mais la politique de l’autruche signe un manque de courage, évitant d’emprunter la seule issue qui vaille : la remise en cause du modèle économique dominant, fondé sur l’emprise prédatrice des humains sur les écosystèmes, qui pourrait conduire à l’effondrement de la vie sur Terre. La majorité des scientifiques qui s’expriment dans ce livre est convaincue que non seulement l’effondrement est possible, mais qu’il est déjà en marche.

Un livre de confinement

L’idée de ce livre est née après la lecture d’un article publié dans le New York Times le 28 janvier 2020 et intitulé « We made the coronavirus epidemic » (c’est nous qui avons fait l’épidémie de coronavirus). Intriguée, j’ai plongé dans Internet pour comprendre pourquoi le journaliste et écrivain scientifique David Quammen affirmait avec force arguments que nous, les humains, étions responsables de la pandémie qui allait mettre à genoux l’économie mondiale. C’est ainsi qu’au fil de ma recherche, j’ai découvert l’œuvre de Serge Morand.

Le 12 mars 2020, je l’ai contacté par Skype – confinement oblige – et je n’oublierai jamais son accueil : « Vous tombez bien, m’a-t-il dit, ça fait longtemps que j’attends qu’un réalisateur fasse ce que vous avez fait dans Le Monde selon Monsanto, à savoir réunir dans un même film tous les scientifiques qui, comme moi, essaient de tirer la sonnette d’alarme, en montrant par leurs travaux qu’il y a un lien direct entre la crise de la biodiversité et la crise sanitaire. » Serge m’a ouvert son carnet d’adresses et, pendant plus de trois mois, nous avons multiplié les échanges virtuels. Grâce à son aide, j’ai pu identifier et contacter soixante-deux scientifiques, qui m’ont permis d’écrire un projet de documentaire, dont le tournage devait commencer – si les conditions le permettent – début 2021.

En raison de la pandémie, j’ai dû modifier ma pratique : d’habitude, je tourne d’abord un film, qui nourrit l’écriture d’un livre, mais pour la première fois, j’ai fait l’inverse. Et je dois dire que ce fut une expérience exceptionnelle. Pendant cinq mois, jonglant avec les décalages horaires, j’ai échangé longuement, par écrans interposés, avec des femmes et des hommes issus des cinq continents, qui m’ont décrit avec passion leurs études de terrain ou de laboratoire et m’ont transmis leur amour de la Science. La Science avec un grand « S », celle qui ne passe pas de compromis douteux avec les puissances d’argent et qui ambitionne de servir l’humanité. Je les remercie du fond du cœur pour la confiance qu’ils et elles m’ont accordée.

Avant que le lecteur entame la lecture de ces pages, je voudrais rendre hommage à mes vieux parents, qui sont tombés gravement malades pendant l’été 2020. J’ai décidé de les rejoindre dans la maison de mon enfance, pour prendre soin d’eux. Ma mère nous a quittés un soir d’octobre. Je ne sais combien de temps mon père lui survivra. Mais tous les deux m’ont beaucoup soutenue pour que je termine ce « livre de confinement », qui « remet de la cohérence dans les désordres angoissants qui nous assaillent ». Je dois même dire que cette expérience nécessaire et douloureuse de l’accompagnement d’êtres très chers en fin de vie a fortement résonné avec la parole des scientifiques qui constitue la matière de ce livre : « Réapprenons à prendre soin », nous disent-ils avec un respect de la vie qui m’a tout simplement fait un bien fou.

Marie-Monique Robin, Gourgé, novembre 2020.

[1] Toutes les notes de référence sont classées par chapitre, en fin de ce livre, p. xxx.

Notes de l’introduction

[i] Luc Ferry, Le Nouvel Ordre écologique. L’arbre, l’animal et l’homme, Grasset, Paris, 1992.

[ii] Edgar Morin, Connaissance, ignorance, mystère, Fayard, Paris, 2017, p. 11.